PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE
MONTRÉAL C O U R MUNICIPALE
_________________________________
NO: 199 125
329
LA REINE
c.
DENIS CHESNEL ET AL
_________________________________
ANALYSE DE LA JURISPRUDENCE
PAR ME BERNARD CORBEIL SOUMISE À L’HONORABLE JUGE DENIS BOISVERT
INTRODUCTION
1.
Le présent document fait partie d’un ensemble de quatre documents qui
constituent la plaidoirie présentée par Me Bernard Corbeil.
2.
Dans le premier document intitulé « Plaidoirie »
nous avons analysé les pièces.
3.
Dans le deuxième document, intitulé « Normes »
nous avons répondu à la question du tribunal qui demandait comment déterminer
les paramètres d’un club échangiste authentique afin de s'assurer qu'il soit
fréquenté par d'authentiques adeptes de l'échangisme.
4.
Dans le troisième document, nous avons analysé la preuve testimoniale.
5.
Dans ce quatrième document nous analysons la jurisprudence
et nous soumettons nos conclusions.
DOSSIER SANS PRÉCÉDENT
6.
Nous analyserons d'abord la jurisprudence que
nous soumettons en défense et par la
suite nous analyserons la jurisprudence de la poursuite.
7.
L’analyse de cette jurisprudence concernant
les maisons de débauche et la notion d’indécence permet au tribunal de
constater que le présent dossier est un cas
d’espèce unique en son genre.
8.
En effet, c’est le seul dossier qui cumule un
ensemble d’éléments en même temps au niveau des faits, des documents, de la
preuve testimoniale et des arguments, comparativement aux cas de jurisprudence
en semblable matière.
9.
Les autres cas de jurisprudence traitent de
certains éléments, mais ils ne traitent pas de certains autres, de sorte que
des distinctions importantes permettent au tribunal de tirer des conclusions
différentes des autres cas de jurisprudence.
10.
Ainsi, le présent
dossier est le seul qui cumule tous et
chacun des éléments suivants :
10.1
il n’y a pas de commerce de boissons alcoolisées
susceptible de donner un caractère public
comme dans le cas d’un établissement licencié;
10.2
il n’y a pas de danseuses nues qui se font toucher les
seins et les fesses par des clients moyennent un montant d’argent;
10.3
un endroit où on utilisait et même fournissait des condoms;
10.4
un endroit identifié et reconnu comme étant un club échangiste;
10.5
un endroit discret, privé et dont l’accès était contrôlé par une
porte verrouillé qui empêchait le premier venu d’entrer sans avoir de
réservation;
10.6
une expertise par un expert en psychologie et en sexologie;
10.7
le témoignage de l’expert en psychologie et en sexologie reconnu par
la Cour Suprême du Canada comme étant compétent pour éclairer le tribunal
en matière de tolérance de la société canadienne et contemporaine;
10.8
les témoignages de deux experts dans trois domaines différents
soit en sexologie, psychologie et en sondage d’opinion publique;
10.9
une preuve objective et scientifique sur la tolérance de la
société canadienne et contemporaine sous la forme d’un sondage;
10.10
un sondage fait selon les règles de l'art en matière de
sondage;
10.11
un sondage dont la force probante n'a même pas été mise en
doute par une preuve contraire;
10.12
un sondage qui établit que la société canadienne et contemporaine
est très tolérante en matière
de sexualité;
10.13
un sondage qui établit qu’une majorité de la société canadienne
et contemporaine est d’accord pour que
les adultes consentants peuvent vivre leur vie sexuelle comme ils
l’entendent, du moment qu’ils ne dérangent personne;
10.14
un sondage qui établit qu’une majorité de la société canadienne
et contemporaine ne voit aucun problème avec l’existence des clubs
échangistes qui sont fréquentés par des adultes consentants et qui ne
dérangent personne;
10.15
un sondage qui établit qu’une majorité de la société
canadienne et contemporaine n'est pas dérangée par les clubs
d'échangistes où des adultes d'âge légal, avertis et consentants, assistent ou
participent à des activités sexuelles explicites, en groupe, dans un
établissement prévu à cette fin qui leur est réservé. Ces activités se font à l'abri du regard du public ne désirant
pas y assister ou y participer;
10.16
un sondage qui établit qu’une majorité de la société
canadienne et contemporaine tolère les clubs d'échangistes
où des adultes d'âge légal, avertis et consentants,
assistent ou participent à des activités sexuelles explicites, en groupe,
dans un établissement prévu à cette fin qui leur est réservé. Ces activités se font à l'abri du regard
du public ne désirant pas y assister ou y participer;
10.17
un sondage qui établit que plus les gens ont une connaissance
des clubs échangistes, plus la tolérance est grande à leur égard;
10.18
un sondage qui établit que même si une forte majorité,
quatre-vingt-sept pour cent (87%), déclare ne pas vouloir personnellement
visiter un club d'échangistes, plus de six (6) répondants sur dix (10),
soixante-quatre pour cent (64%), ne s'opposent pas à ce que d'autres adultes
fréquentent de tels établissements.
10.19
un sondage qui établit que:
10.19.1 ce qui se passait chez Brigitte
et Michel correspond à ce qui est décrit dans le sondage;
10.19.2 ce qui est décrit
dans le sondage est toléré par la société canadienne et contemporaine;
10.20
un sondage qui peut servir d'outil aux tribunaux qui
doivent déterminer le niveau de la tolérance de la société canadienne et
contemporaine selon une preuve scientifique et objective, plutôt que de
se baser sur leur expérience personnelle d'une façon subjective;
10.21
un sondage qui peut également servir aux policiers et aux
avocats de la poursuite comme outil de travail pour éviter qu'on leur
reproche d'agir selon des critères subjectifs, d'autant plus que les policiers
n'ont pas de document administratif pour
déterminer ce qui est ou n’est pas indécent compte tenu du seuil de
tolérance de la société canadienne et contemporaine;
10.22
un sondage qui peut servir à combler ce "vide
juridique" qui a empêché les policiers et les avocats de la poursuite
d'agir avec diligence pendant 21 mois;
10.23
un sondage qui démontre que la société canadienne et
contemporaine tolère l’échangisme qu’elle distingue de la prostitution qui,
elle, dérange d’avantage la société;
10.24
une expertise et le témoignage d'un expert en sexologie et en
psychologie établissant d'une façon prépondérante et non contredite qu'il
n'y a pas de perversion, de pathologie, de déviance, de prédateurs sexuels,
d'exploitation de la femme, ni de violence dans la culture échangiste et
qu'au contraire cette preuve démontre que les échangistes sont plutôt de simples
badauds respectueux qui veulent s'amuser entre eux dans le respect
de règles d'éthique et dans un endroit suffisamment privé pour ne pas
déranger les autres;
10.25
une expertise et le témoignage d'un expert en sexologie et en
psychologie qui donne au tribunal un outil pour connaître et comprendre
l'évolution du seuil de tolérance dans le temps, dans l'histoire et plus
particulièrement dans la société canadienne et contemporaine;
10.26
soulevant la question du droit fondamental à la liberté
d’association, d’expression et de liberté de pensée que la Charte garantit aux gens qui
partagent des affinités et un intérêt commun pour un style de vie différent de
la majorité des gens et qui exercent ces droits en se réunissant dans
un club échangiste qui leur est réservé;
10.27
la preuve d’un “ vide juridique” admis par la police et
les avocats de la poursuite concernant les maisons de débauche, et plus
particulièrement l’interprétation et la mise en application des articles du
code criminel utilisés pour porter des accusations dans le présent dossier;
10.28
le fait que les policiers ont toléré pendant 21 mois que quelques
8000 personnes participent à des échanges sexuels chez Brigitte
et Michel, sans intervenir et sans leur donner le moindre avertissement;
10.29
la preuve que durant ces 21 mois pendant lesquels quelques 8000
personnes ont participé à des échanges sexuels chez Brigitte et Michel, aucune
plainte n’a été formulée;
10.30
la preuve testimoniale et non contredite qu’il s’agit d’un endroit où
règne un contexte de respect envers les autres en général et à l’égard de la
femme en particulier;
10.31
la preuve que la femme policière qui enquêtait comme agent double ainsi
que les femmes présentes chez Brigitte et Michel n’étaient pas obligées de
se déshabiller, de se laisser toucher
ou de participer d’une façon dégradante, déshumanisante ou humiliante à des
activités sexuelles;
10.32
l’admission par les policiers qu’il s’agissait d’un endroit ou les gens étaient
respectueux les uns des autres;
10.33
des circonstances où les gens sont avertis qu’il s’agit
d’un lieu de rencontre pour les couples et les célibataires ayant
l’esprit ouvert;
10.34
la preuve qu’aucun argent n'était donné en contrepartie de faveurs
sexuelles;
10.35
la preuve que depuis les 20 dernières années la société
canadienne et contemporaine est de plus en plus tolérante en matière de
sexualité;
10.36 une
preuve par vidéocassettes
filmées à l’insu des participants et qui démontrent que tout se déroulait dans
des circonstances et dans un contexte de calme et
de respect selon le comportement
décrit comme étant celui des échangistes authentiques;
10.37
un endroit où il avait des règles d’hygiène que l’on faisait respecter véritablement
grâce aux douches, à l’usage des condoms, l’entretien du bain tourbillon, le changement
de draps;
10.38
un endroit où il n’y avait pas de prostitution;
10.39
aucune plainte des quelques 8000 personnes qui
ont participé aux activités chez Brigitte et Miche pendant ces 21 mois;
10.40
un endroit où les deux conjoints d’un couple sont en présence l’un de
l’autre pour du sexe récréatif en toute honnêteté et franchise
entre eux, plutôt que de se tromper hypocritement l’un l’autre au détriment de
leur vie de couple;
10.41
un endroit qui projette un message positif de respect et d’égalité à
l’égard de la femme, dans la mesure où les gens savent ce qu’est un club
échangiste authentique par opposition au message que projette un établissement
licencié qui offrent, en pâtures à ses clients, des danseuses nues en même
temps qu’une consommation d’alcool;
10.42
un endroit où on
respecte le libre choix des gens de faire ou non quelque chose contrairement
à ce qui se passe dans les établissements licenciés dont parle la jurisprudence
au sujet des danseuses qui sont
obligées de se laisser toucher parce qu'elles sont payées pour cela.
10.43
la preuve que les adeptes
authentiques de la culture échangiste ont des règles d'éthique qui
démontrent qu'un club échangiste authentique qui implante et respecte ce code
d'éthique, ne causerait aucun préjudice à la société et ne
prédisposerait à un comportement antisocial;
10.44
la preuve que les éléments suivants, qui font partie du code d'éthique
des échangistes, ne peuvent au contraire n'être que positifs et profitables à
la société canadienne et contemporaine en général en prédisposant les gens à un
comportement social comme :
10.44.1 la courtoisie;
10.44.2 les rapports amicaux;
10.44.3 l'hygiène;
10.44.4 la propreté;
10.44.5 le droit de dire non;
10.44.6 le respect du refus;
10.44.7 la non-consommation d'alcool
et de drogue
10.44.8 la pratique du sexe sans
risque et l'usage du condom.
11.
Ce que le présent tribunal peut retenir de cette liste de différences
entre les différents jugements, ce n'est pas, bien entendu, qu'il faille
trouver deux causes ayant une superposition parfaite des questions de droit et
de faits d'un dossier à l'autre.
12.
Ce que le présent tribunal peut retenir de cette liste de différences,
c'est plutôt le fait que nous sommes en présence d'une situation sans
précédent qui cumule tous les éléments en même temps pour la première fois:
12.1
dès le début de l’enquête policière il est clair qu’il s’agit d’un
cas de club échangiste et non pas d’un bar de danseuses nues;
12.2
d'une part parce que c’est un club échangiste, il n'y a aucun
paiement d'argent pour une gratification sexuelle, comme c'est le
cas dans la plupart des dossiers où on a jugé dégradant et déshumanisant que la
femme soit considérée comme un objet de plaisir pour l'homme, alors que c'est
tout à fait le contraire dans le milieu échangiste, où tout se fait avec
respect, pour le plaisir et non pour l'argent;
12.3
d'autre part, que dans le cas des échangistes, le contrat social
se fait entre les membres du club et non pas entre un client et
une danseuse qui n'est pas libre de
dire non.
12.4
et aussi, c'est qu’il n’y a pas ce caractère carrément public qui
découle du fait que les activités surviennent dans un établissement licencié
où il se vend des boissons alcoolisées, comme c’est le cas dans les autres
jugements. Ce qui ressort de ces autres jugements où il y a un permis d’alcool
et qui est dégradant et déshumanisant pour la femme et qui prédispose aussi à
un comportement antisocial, c’est que dans ces débits de boisson, l’usager
associe et banalise la consommation d’alcool et la consommation de sexe.
12.5
finalement c’est que pour la première fois il y a un cumule de
preuves scientifiques et objectives, dans le domaine de la sexologie, de la
psychologie et du sondage d’opinion publique, qui démontre qu’une majorité de
la société canadienne et contemporaine n’est pas dérangée et tolère le contexte
et les circonstances qui prévalent dans les clubs échangistes comme chez
Brigitte et Michel.
13.
Ce qui est particulièrement intolérable, dans le cas d'un commerce
licencié ayant un caractère carrément public, c’est le fait que la femme offre,
à tout venant, son corps à la vue ou aux touchés des clients en échange
d'argent, et qui fait d’elle, un article
de consommation, que l'employeur offre simultanément à ses clients, au même
titre que l'alcool. Le présent tribunal est en mesure de conclure que c'est cet
aspect qui répugne et qui fait que le contexte et les circonstances
outrepassent le seuil de tolérance de la société canadienne et contemporaine.
14.
En bref, cela revient à dire que ce qui constitue ou ressemble à de la prostitution, est
indécent car cela outrepasse le seuil de tolérance de la société canadienne et
c'est d'ailleurs ce que révèle le sondage produit dans le présent dossier.
15.
Mais ce sondage fait bien la distinction en établissant que la société
canadienne et contemporaine ne semble pas être prête à tolérer la
prostitution alors qu’elle semble être
prête à tolérer les clubs échangistes tel que défini dans le sondage.
JURISPRUDENCE DE LA DÉFENSE
16.
En nous inspirant de la méthodologie du cheminement chronologique que
l'expert Michel Campbell a utilisée pour démontrer la progression de
l'évolution de la société face à la sexualité de l'humain, il nous est apparu
pertinent de faire une analyse chronologique de la jurisprudence pour démontrer
comment la tolérance de la société canadienne et contemporaine est en
perpétuelle évolution.
17.
L’expert Campbell a établi que durant les années 60 il est
survenu une “révolution sexuelle” et que depuis les années 80 il
y a eu une “renaissance sexuelle” et la jurisprudence de ces périodes
reflète aussi une évolution vers une plus grande tolérance en matière de
sexualité et un plus grand respect de la vie privée des gens qui ont le droit
constitutionnel d’être différents. Cette évolution s’est également reflétée
dans les lois et il suffit de penser à l’homosexualité, l’avortement, les paris
illégaux et la Charte canadienne des droits et libertés.
18.
Cette période d'ouverture d'esprit dans la jurisprudence concorde avec
les années 1960 que l'expert Michel Campbell a rattaché la période de
révolution sexuelle, notamment du à l'arrivée du contraceptif oral communément
appelé "la pilule" et pendant laquelle la femme a acquis
l'autonomie de son corps dont elle pouvait jouir enfin sans risque de
grossesse.
19.
Durant les années 1960 la notion de sexe récréatif côtoie celle du sexe reproductif.
20.
L'évolution jurisprudentielle sur les maisons de débauche a du suivre
l'évolution technologique dans le sens qu'au début il s'agissait d'accusations
pour des maisons de débauche impliquant des prostituées, des spectacles
d’effeuillage et des salons de massage. Puis les tribunaux ont du adapter les
concepts d’indécence de l’époque victorienne à d’autres technologies comme la littérature,
le cinéma, la télévision, le téléphone, les revues spécialisées, les films pour
adultes, les vidéocassettes, les danseuses nues sans contact, les danseuses
nues avec contact, l’internet, le cybersexe.
21.
Maintenant au tournant du XXI ième siècle, la société découvre la
zone grise des clubs échangistes alors que la jurisprudence fait face au "vide
juridique" qui a conduit au présent dossier.
22.
Avant d’entreprendre l’analyse de la jurisprudence il important de
savoir que certains passages ont été traduits pour résumer le sens de ce qui
est dit dans le texte parfois un peu long, de sorte qu'en cas d'incertitude
nous suggérons de référer au texte dans la version originale dont nous joignons
un exemplaire dans notre cahier de jurisprudence.
23.
D’autre part, quand un passage est cité dans le cadre de l’analyse d’un
jugement en particulier, ce passage provient du jugement analysé, mais il peut
s’agir en même temps de l’extrait d’un jugement cité dans le jugement analysé.
24.
Finalement, comme certains jugements réfèrent souvent aux mêmes
jugements au fur et à mesure que les années passent et comme nous les analysons
chronologiquement un par un et qu’il faut les comparer et les distinguer les
uns par rapport aux autres, il y aura inévitablement des répétitions et parfois
une impression de redondance. Toutefois il faut lire attentivement chaque
référence car les références aux mêmes jugements peuvent parfois être faites
pour faire ressortir différents aspects du même jugement. Pour faire ressortir
les points de comparaison et de différenciation, nous avons mis certains
passages en caractères gras ou en souligné ou les deux à la fois.
25.
En décembre 1967, la Cour Suprême du Canada renverse une décision
rendue le 5 février 1967 pour de la sollicitation faite par téléphone
le 8 février 1966 et prononce un acquittement parce que la
poursuite n'a pas prouvé que le local avait été utilisé à plusieurs reprises
pour des fins de prostitution. ( Patterson vs The Queen (1968) R. C.
S. 157 )
26.
Le 22 octobre 1968, une cour d'appel d'Ontario maintient l'acquittement
pour une accusation de spectacle indécent dans un lieu public,
soit un hôtel, le 23 février 1968 alors que l’accusée portait
d'abord un bikini et des pastilles sur le bout des seins et
qu'elle s'est frotté les seins et les fesses sur certains clients (
R. v. Sequin 1969 C. C. C. Vol. 22, 150 ) considérant que:
26.1
même si la représentation a eu lieu dans un hôtel (qui devait
détenir un permis d'alcool), le tribunal a conclu que ce n'était pas un
endroit public comme un parc public et que cela faisait une différence
car l'auditoire était composée que d'adultes des deux sexes;
26.2
la publicité ayant été faite pour annoncer le spectacle, les gens qui
ont vu le spectacle avaient une bonne idée de ce qui les attendait et
d'ailleurs personne ne s'en est plaint sauf les policiers de l'escouade
de la moralité qui avaient vu le spectacle la veille;
26.3
le spectacle avait été présenté dans plusieurs villes sans que
personne ne s'en plaigne et sans que la police ne porte d'accusation;
26.4
les normes de tolérance de la société canadienne et contemporaine sont des
concepts qui évoluent car les idées changent avec le temps (comme cela a
été dit en 1955 dans la cause de Marro au Québec);
26.5
dans le cas de situation proche de la limite (border line) la
tolérance est préférable à l'interdiction;
26.6
chaque cas est un cas d'espèce;
26.7
dans le domaine de la moralité, de l'obscénité et de l'indécence, il
faut être particulièrement vigilant pour ne pas transformer ses goûts
personnels en principes juridiques;
26.8
comparé à l'ère victorienne, les gens vivent maintenant (1968-69)
dans une "liberal age"
qui se manifeste notamment par la liberté que l'on a de parler des questions de
sexe dans les livres, les revues, la télévision, le cinéma et même dans
les salons, et ce avec une candeur qui à une époque antérieure aurait pu être
vu comme indécent ou intolérable. (comme cela a été dit en 1955 dans la
cause de Marro au Québec);
26.9
il n'est pas nécessaire d'être un docteur en sociologie pour le savoir.
27.
Le 29 janvier 1974, la cour d'appel du Manitoba a maintenu l'acquittement pour une
accusation d'avoir montré publiquement un film obscène (Le Dernier Tango à Paris) contenant
des scènes de violence, de langage cru, de relations sexuelles, de
masturbation et de sodomie (R. c. Odeon Morton Theatres Ltd 16 C. C. C.
(2d ) 185 ) considérant que:
27.1
il faut accorder le bénéfice du doute à l'accusé;
27.2
il faut appliquer objectivement le test des normes de tolérance
de la société canadienne contemporaine et non pas juger selon ses critères
subjectifs et personnels;
27.3
cette preuve peut se faire par le témoignage d'experts;
27.4
le film avait été classé dans la catégorie des films pour 18 ans et
plus;
27.5
chaque cas est un cas d'espèce.
28.
Le 10 avril 1974, la cour d'appel d'Ontario renversait la décision de première instance
en ordonnant un nouveau procès pour une personne accusée d'avoir commis un acte
de grossière indécence soit un cunnilingus le
3 septembre 1971 (R. c. St-Pierre 3 O. R. (2d) 642). Ne serait-ce
que pour illustrer à quel point la sexualité était un sujet extrêmement tabou à
cette époque, on peut lire à la page 645 du jugement que le juge
de première instance a admis qu'il a du regarder dans le dictionnaire pour
savoir en quoi consistait un cunnilingus et conclure que c'était " …
a dirty, filthy pratice such as this
that is resorted to by no one but by sexual pervert, is surely an infringment
of the Criminal Code … " !!!. Il a dit la même chose de la fellation
dont il a parlé en référant à un autre dossier. L'acquittement par la cour
d'appel a été prononcé en considération que:
28.1
un expert en psychiatrie est venu dire que le cunnilingus
est un préliminaire parfaitement normal à une relation sexuelle et
qu'une large proportion de la population le fait;
28.2
le cunnilingus est une pratique qui est en croissance depuis les
derniers 20 ans (donc depuis les années 50).
29.
Le 25 mars 1977 la cour provinciale d'Ontario a acquitté une personne accusée
d'avoir organisé publiquement un spectacle immoral, indécent ou
obscène lors d'un concours de strip-tease amateur dans un bar licencié
le 16 septembre 1976 ( R. v. Kleppe, 35 C. C. C. (2d) 168 ) en ce
que:
29.1
la nudité en soit n'a rien d'illégal compte tenu que des spectacles avec nudité
devant des auditoires d'hôtels et de boîtes de nuits se font à de nombreux
endroits;
29.2
personne n'est obligé d'assister à un spectacle et surtout d'y rester jusqu'à
la fin si un tel spectacle lui déplait;
29.3
n'ayant peu ou pas de preuve établissant les normes de tolérance
de la société qui démontrerait que le spectacle était choquant (offensive) pour
l'auditoire qui a volontairement assisté à toute la représentation.
29.4
ces spectacles " They are not being forced on the public in a
public square or forum" (p. 174).
30.
Le 5 septembre 1980 la cour d'appel d'Ontario a maintenu l'acquittement d'une
personne accusée d'avoir été publiquement nue et d'avoir montré ses organes
génitaux lors d'un spectacle dans un bar ( R. v.
Bélanger, (1980) 5 W. B. C. 446 ),
car :
30.1
il y avait de la preuve pour appuyer la conclusion du juge de première
instance "that the community standards had not been offended"
30.2
il faut tenir compte du lieu, des circonstances et l'auditoire.
31.
Le 5 octobre 1982 la cour d'appel d'Ontario accueille l'appel et acquitte une
personne accusée d'avoir donné un spectacle immoral dans un théâtre public (
R. v. MacLean and MacLean 1 C. C. C. 413) car pour établir la norme de
tolérance de la société il faut prendre en considération:
31.1
le local où le spectacle prend place;
31.2
l'avertissement fait au public;
31.3
les conditions d'admission;
31.4
"the size and nature and the extent of the
reception of the audience to the particular performance and to similar
performances." (p.114)
32.
Le 24 octobre 1983 une cour d'Ontario ( R. v. Doug Rankine Co. 36 C. R. 154 ) a partiellement
acquitté et partiellement condamné quelqu'un accusé de distribution de films
et vidéocassettes obscènes entre décembre 82 et avril 83 considérant
que:
32.1
une partie de la population tolèrerait les éléments suivants dans des vidéocassettes:
scènes de sexe oral explicites, masturbation, relations sexuelles, sexe en
groupe impliquant trois personnes ou plus, du voyeurisme et du
langage "grossier" (offensive);
32.2
le témoignage d'experts doit être considéré et être d'un grand
secours dans les domaines où le juge ou le jury n'ont pas d'expertise
dans le domaine qu'ils doivent juger (p 162) ;
32.3
il faut être très vigilant pour pas que le goût ou l'opinion
personnel se transforment en principes juridiques;
32.4
les normes de tolérance de la société doivent être contemporaines,
canadiennes et objectives;
32.5
" To suppress the bad is one thing; to suppress the not so bad, or
even the possibly good is quite another." ( p. 166 ) Ce que le présent
tribunal peut appliquer dans le présent dossier comme signifiant:: “supprimer
les maisons de débauche c'est une bonne chose; mais supprimer le droit des échangistes
authentiques à des clubs qui ne sont peut-être pas si intolérables, et qui sont
possiblement bons, c'est une toute autre chose”.
32.6
"Thus there is very little evidence before the court to assist
it in determining what is the national level of tolerance, other than the
films" ( p. 171 ). ( Ce qui permet au présent tribunal de conclure, a
contrario, que, puisque dans le présent dossier il y a une abondante preuve prépondérante et en grande partie non
contredite, et c'est cette preuve qui n’existe pas dans les autres
jugements, qui permet justement au présent tribunal de constater que chez
Brigitte et Michel il s’agit d’un cas d’espèce unique;
32.7
il est très difficile pour une seule personne comme un
juge, de savoir ce que 24 millions de personnes peuvent tolérer ( p. 172 ). ( Ce qui permet
au présent tribunal de constater personnellement que c'est effectivement très
difficile et que c'est pour cela que le sondage et l'expertise en psychologie
et en sexologie ainsi que les témoignages de leurs auteurs sont si utiles et si
pertinents pour éclairer le tribunal. )
33.
LE 9 MAI 1985 la Cour Suprême du Canada ( Town Cinema Theaters Ltd c. La Reine
(1985) 1 R. C. S. 494 ) renversait le jugement rendu par la cour d'appel
d'Alberta le 12 mai 1982 et acquittait la personne accusée
d’avoir présenté un divertissement
obscène le 27 janvier 1980. Ce jugement cristallisait les critères
que les tribunaux doivent appliquer et ont appliqués depuis, pour se prononcer
sur le seuil de tolérance de la société canadienne en matière d'indécence et
d'obscénité. On peut les résumer de
la façon suivante (tout en se rappelant qu'il faut mettre ces extraits dans
l'entièreté du texte du jugement:
33.1
"l'un des critères applicables consiste à savoir si on a
outrepassé les normes de tolérance admises dans la société canadienne
contemporaine." (p. 494
33.2
"Ces normes ne sont pas fixées par des gens au goût et aux intérêts
les plus bas." (p. 506 g )
33.3
"Elles ne sont pas non plus fixées exclusivement par des gens de
goût et d'esprit rigide, austères, conservateurs ou puritains." ( p. 506 g
)
33.4
"Il faut en arriver à quelque chose qui se rapproche de la moyenne
générale des opinions et des sentiments de la société" ( p. 506 g
). ( Ce qui permet au présent tribunal de constater que la preuve dans le
présent dossier respecte et dépasse même cette “moyenne générale”
puisque le sondage démontre que 57% de la société canadienne et
contemporaine tolèrent les clubs échangistes tel que définis au sondage et
dont la définition correspond à ce qui se passait chez Brigitte et Michel.)
33.5
"L'affaire Prairie Schooner portait notamment sur
l'admissibilité d'une preuve d'expert (sous forme de sondage d'opinion
publique ) concernant l'état des normes sociales contemporaines. À la
page 266 du recueil où est publié cette affaire, on trouve le passage
suivant des motifs du juge Monnin et de moi-même :
33.5.1
Il me semblerait que lorsqu'il devient nécessaire de déterminer
la nature véritable de l'opinion publique et de trouver une norme unique,
la Cour doit pouvoir bénéficier d'une preuve scientifique
obtenue conformément à la procédure reconnue en matière d'échantillonnage par
des personnes qui sont des experts en matière de sondage d'opinion.
Cette preuve peut, à bon droit, être qualifiée de preuve d'expert.
L'état d'esprit ou l'attitude d'une société est un fait tout autant que
l'état de santé d'une personne: il semblerait donc qu'il convient
d'admettre l'avis d'experts autant sur un sujet que sur l'autre."
( p. 513 a-d ) (Cette jurisprudence du 27 août 1970 permet donc au
présent tribunal de considérer le sondage produit dans le présent dossier comme
ayant une grande force probante. Elle permet aussi au présent tribunal de
conclure qu'il faut écarter la jurisprudence qui dit que ce serait irréaliste,
impossible, douteux ou trop coûteux de demander à la poursuite de faire une
preuve du seuil de tolérance. La poursuite a décidé de ne pas faire quelque
expertise que ce soit et elle soutient qu'elle n'a pas l'obligation d'en
produire une, ni de faire la preuve du seuil de tolérance de la société
canadienne et contemporaine. La conséquence de ce choix par la poursuite, qu'il
soit fondé ou non, c'est que le tribunal se retrouve devant une seule et unique
preuve par voie de sondage et par expertise, alors que la jurisprudence sous
étude conclut que cette preuve peut être faite par expert. S'il peut être
discutable et discuté que la poursuite ait l'obligation de faire cette preuve
c'est une chose. Mais une chose qui n'est ni discutée, ni discutable, c'est
que la défense n'a certainement pas l'obligation de faire une telle preuve et
pourtant elle l’a faite.)
33.6
“Certes, il lui (le juge) appartenait de trancher cette ultime question,
mais même le juge le mieux informé doit hésiter à se fonder sur son goût
personnel, sur son appréciation subjective, pour condamner l’art. Il
n’améliore pas la situation lorsqu’il invoque son droit d’appliquer la loi et
qu’il le fait en portant une attention rituelle aux facteurs qui doivent être
examinés à fond pour inscrire une déclaration de culpabilité.” ( p. 513 i, j )
33.7
“Il est clair en droit que le
juge des faits n’est pas tenu d’accepter un témoignage, celui d’un expert ou
autre. Il peut le rejeter en totalité ou en partie. Il ne peut cependant le
rejeter sans motifs valables. En l’espèce, le juge du procès avait le devoir
d’examiner ce témoignage et d’évaluer le poids de la preuve, en ce qu’elle
reflète les normes sociales de tolérance, que constituent l’approbation du
film par les organismes de censure ou de classification ainsi que le fait que
la Commission de l’Alberta n’au reçu aucune plainte bien que plus de 8 500
personnes aient vu le film”. ( p. 517 b, c, ) ( Cette référence au chiffre de 8 500 personnes, permet au
présent tribunal de faire le même commentaire quant aux 8 000
personnes qui sont allées chez Brigitte et Michel pendant les 21 mois de
tolérance des policiers et qu’aucune autre plainte n’a été reçue par la police. )
33.8
“ ( La question de l’obscénité ) doit être tranchée suivant les normes
contemporaines de la société canadienne. Plusieurs facteurs doivent être
pris en considération pour trancher cette question. L’un d’eux est le
témoignage des experts, que le juge doit soupeser et évaluer. Un autre est
le fait que le film ne peut être vu que par des adultes puisqu’il a reçu la
cote “Réservé aux adultes” et qu’il ne peut ainsi être présenté aux personnes
de moins de 18 ans.” ( p. 517 f, )
33.9
“Dans la présente espèce, le juge n’aurait certainement pas dû rejeter
la preuve qui lui a été soumise sans donner d’explication.” ( p. 517 i. )
33.10
“Il faut également se rappeler que la poursuite doit établir sa
preuve hors de tout doute raisonnable. Si. à la fin du procès, compte
tenu de la preuve de la défense ou autrement, le juge a un doute raisonnable
que le film outre passe les normes sociales, il doit prononcer l’acquittement.
L’accusé n’a pas le fardeau d’établir que les normes sociales sont
respectées.” ( p. 517 j, ) ( Cette conclusion de la Cour Suprême
permet donc au présent tribunal de conclure que l’argument soumis par la
défense à l’effet que c’est à la poursuite de faire la preuve du seuil de
tolérance hors de tout doute raisonnable et que ce n’est pas à la défense de le
faire, est tout à fait fondé en vertu de ce jugement. )
33.11
“Je suis d’avis que le juge du procès a commis une erreur en ne
tenant pas compte du témoignage non réfuté du président de la
Commission de censure de l’Alberta.” ( p. 518 a )
33.12
“Ce qui importe, c’est ce que les Canadiens ne souffriraient pas que
d’autres Canadiens voient parce que ce serait outrepasser la norme
contemporaine de tolérance au Canada que de permettre qu’ils le voient”. ( p.
519 a ) (Ce qui permet au présent tribunal de retenir du sondage D-7 p. 17,
qu’une majorité significative (64%) des Canadiens ne
s’opposent pas à ce que d’autres adultes fréquentent des clubs échangistes
et que 78% sont d’accord pour dire que les adultes peuvent vivre leur
vie sexuelle comme ils l’entendent du moment qu’ils ne dérangent personne.)
33.13
“ … je partage également son point de vue que, pour formuler la
norme sociale qui constitue un élément de la preuve qu’elle doit faire
dans une cause criminelle, la poursuite doit présenter des témoignages, ceux
des experts ou autres, au juge des faits.” ( p. 519 c, d, )
33.14
“Le critère en fonction duquel le juge des faits doit évaluer la norme
sociale est un critère objectif”. ( p. 520 f )
33.15
“Pour déterminer cette norme sociale, le juge des faits serait
contraint de spéculer non seulement sur ce que la société estime
acceptable, mais également sur l’auditoire que celle-ci avait à l’esprit en
établissant la norme d’acceptabilité. ( p. 521 a)
33.16
“ Le Shorter Oxford English Dictionary définit “tolérance”
(toleration) comme “l’acte ou le fait de tolérer ou de permettre ce qui
n’est pas réellement approuvé. Il
ressort de cette définition qu’il existe une distinction entre ce
qui n’est pas approuvé et ce qui n’est pas toléré.“ ( p. 522 j ).
( Ce qui permet au présent tribunal de conclure à juste titre que, même si le
sondage dans le présent dossier ne démontre pas que ce qui se passait chez
Brigitte et Michel est “approuvé” à 100 %, ce sondage démontre au moins
d’une façon prépondérante et non contredite par une preuve contraire,
que c’est au moins “toléré”
par une majorité de la société canadienne contemporaine. )
33.17
“Les tribunaux ont affirmé que la norme applicable est objective
et il doit clairement en être ainsi. Mais l’objectivité
nécessite l’établissement de critères et les tribunaux n’ont
pas vraiment réussi à les élaborer. Il s’agit néanmoins d’une infraction
criminelle et, suivant notre système de justice pénale, il est essentiel
que le public sache quelle conduite est criminelle et laquelle ne l’est
pas.” (p. 524 a) ( Ce qui permet au présent tribunal de conclure qu’en
toute justice pour les accusés, ces derniers ne doivent pas être pénalisés par
le “vide juridique” reconnu par les policiers et les avocats de la poursuite. Le présent
tribunal se doit donc d’établir le plus clairement possible
les critères de ce qui est un club échangiste authentique afin que
le “public sache quelle conduite est criminelle et laquelle ne l’est pas”
car il pourra ainsi faire la différence entre le club échangiste authentique
et qui est toléré et légal selon ces critères, et un autre établissement qui
prétendrait être un club échangiste, mais qui en réalité serait plutôt une
maison de débauche déguisée.)
33.18
“Le critère de la norme sociale au Canada a son origine, je crois, dans
l’arrêt Brodie (précitée), l’affaire de L’amant de Lady Chatterly, où quatre
membres de cette Cour ont conclu que la définition de l’obscénité insérée dans
le Code en 1957 rendait désuet le critère appliqué dans l’arrêt R. v.
Hicklin (1868), L. R. 3 Q. B. 360. ” ( p. 525 j )
33.19
“Dans ce domaine du droit, il faut bien prendre garde de ne
pas ériger ses propres goûts ou préjugés en principes de droit.” ( p.
526 i ) (Ce qui invite le présent tribunal à être prudent et à conclure qu’il
lui serait extrêmement difficile, voir même impossible, de vraiment déterminer
d’une manière objective quel est le seuil de tolérance de 24
millions de Canadiens sans s’éclairer avec le sondage produit par la
défense. Sans ce sondage et les expertises de la défense, comment le présent
tribunal peut-il être certain, de respecter le principe établi par la Cour
Suprême “de ne pas ériger ses propres goûts ou
préjugés en principes de droit” ? )
33.20
“Il faut en arriver à quelque chose qui se rapproche
de la moyenne générale des opinions et des sentiments de
la société.” (p. 527 b) ( Ce qui permet au tribunal de conclure que cette moyenne
générale est significativement atteinte et même dépassée avec 57%
de la société canadienne contemporaine qui tolèrent la tenue d’activités
comme celles qui se dérouleraient dans un club échangiste comme chez Brigitte
et Michel et 64% qui disent être d’accord avec le fait que
d’autres personnes fréquentent les clubs échangistes du moment qu’ils ne
dérangent pas les autres. )
33.21
“De toute évidence ce n’est pas une tâche facile puisque ce que nous
cherchons à quantifier est intangible. Il faut quand même faire cet effort si
nous voulons obtenir une norme juste et objective qui permette de vérifier
si une publication est obscène.” (p. 527 c) ( Ce qui permet au présent tribunal
de constater que le sondage, produit dans le présent dossier, est une forme de
preuve qui semble correspondre réalistement à cette exigence. )
33.22
“ Les normes sociales doivent être contemporaines. Les temps et les
idées changent. Nous vivons à une époque qui est libérale si on la
compare à l’ère victorienne. Une manifestation de ce phénomène est la liberté
relative avec laquelle on parle de choses sexuelles. Dans les livres, les
revues, les films, les émissions de télévision et parfois même dans les
conversations de salon, les différents aspects des choses sexuelles font
l’objet de commentaires avec franchise qui, à une époque antérieure, aurait été
considérée comme indécente et intolérable.” (p. 527 e) ( Ce qui permet au
présent tribunal de conclure que cette preuve a également été objectivement
établie dans le présent dossier, par la production des cassettes d’émissions de
télévision où l’on voit et entend des intervenants de tous les âges qui parlent
librement du phénomène échangiste comme d’un phénomène tout à fait toléré et
décent.)
33.23
“Je crois devoir ajouter qu’à mon avis la tolérance doit
l’emporter sur la proscription dans les cas limites. Bannir une
publication qui n’est pas clairement obscène peut avoir des
répercussions et des implications qui ne sont pas immédiatement visibles. Supprimer
le mal et supprimer ce qui n’est pas si mal ou même ce qui être bon sont des
choses tout à fait différentes. À moins qu’elle ne se limite à des cas évidents,
la suppression peut tendre à freiner les élans et les efforts de créativité qui
devraient être encouragés dans une société libre.” (p. 527 i, j )
( Ce qui permet au présent tribunal de conclure que la suppression des clubs
échangistes authentiques risquent de freiner la liberté d’association de gens
qui partagent une culture respectueuse et qui disposent ses adeptes à avoir un
comportement socialement profitable pour l’évolution de la communauté multiculturelle qu’est la société
canadienne et contemporaine.)
33.24
“À mon avis, il incombe à la poursuite de soumettre à la cour
une preuve relativement à la question du “caractère indu”. Je ne puis
voir comment la norme sociale en fonction de laquelle on doit
apprécier le matériel prétendument obscène peut être déterminée sans
cette preuve. Dans l’arrêt R. v. Cameron (1966), 58 D. L. R. (2d)
486, le juge Laskin (alors juge à la Cour d’appel de l’Ontario) a souligné
dans sa dissidence que le témoignage d’expert est indispensable
étant donné qu’un juge ou un jury peut-être limité géographiquement dans ce à
quoi il peut être exposé, ce qui pourrait alors entraîner (traduction) “une
réduction des moyens d’apprécier et de comprendre” un sujet donné – dans ce
cas, des dessins d’artistes. Il affirme, à la p. 515 :
33.24.1 (traduction) Je pense que ce
genre de témoignage sera toujours nécessaire pour étayer la preuve de la
poursuite et celle de la défense, surtout lorsqu’il s’agit, comme en
l’espèce, de tableaux d’artistes de renom saisis à l’intérieur d’une galerie
réputée. Tel étant mon point de vue, je
ne puis faire autrement qu’être surpris de constater que la poursuite en
l’espèce n’a présenté aucun témoignage d’expert et qu’elle s’est
fondée sur les tableaux eux-mêmes pour prouver l’obscénité devant ce magistrat.
Certes, il lui appartient de trancher cette ultime question, mais même le
juge le mieux informé doit hésiter à se fonder sur son goût personnel, sur son
appréciation subjective, pour condamner l’art. Il n’améliore pas la
situation lorsqu’il invoque son droit d’appliquer la loi et qu’il le fait en
portant une attention rituelle aux facteurs qui doivent être examinés à fond
pour inscrire une déclaration de
culpabilité.” (p. 528 e-j à p. 529 a)
(Ce qui permet au présent tribunal de conclure que le sondage et l’expertise
en sexologie et en psychologie constituent des outils très utiles, voir
même “indispensables” pour employer le vocabulaire du paragraphe
précédent. Sans ces outils, un juge peut très difficilement
juger d’une façon objective et hors de tout doute raisonnable, ce
que pensent et tolèrent 24 millions de personnes formant la société
canadienne et contemporaine.)
33.25
“Le juge Laskin parlait bien sûr de la preuve d’expert dans le contexte
de cette affaire, mais il me semble que c’est tout aussi valable au sujet de la
preuve ordinaire. Étant donné qu’il incombe à la poursuite de prouver
l’obscénité au-delà de tout doute raisonnable, il me semble qu’elle
est tenue de déterminer ce qu’est la norme sociale d’acceptation
et de démontrer aussi que l’accusé a outrepassé cette norme.
Ce dernier peut contrecarrer la preuve de la poursuite relative à la norme
sociale en présentant sa propre preuve et le juge peut en venir à sa
décision sur la preuve de la manière habituelle. Il est illusoire
de croire qu’un juge peut, en se fondant uniquement sur sa propre
expérience, déterminer la norme objective en fonction de laquelle la
conduite reprochée doit être appréciée. Comme l’a dit le juge Borins dans
l’affaire R. v. Doug Rankine Co, (précitée), le législateur ne peut réellement
s’attendre à ce que le juge des faits garde le doigt sur le (traduction) “pouls
pornographique” de la nation”. En outre c’est un mauvais principe. L’accusé
n’a aucun moyen de savoir quelle preuve pèse contre lui et à quel degré
d’acceptabilité un juge particulier fixera la limite. Il n’y a aucune
certitude. Il s’agit de la transposition en droit criminel de la
mesure à l’aune.” (p.529 a-f)
33.26 “ Ce qui s’est produit en l’espèce est exactement ce que le juge
Laskin redoutait qu’il se produisît en cas d’absence de preuve soumise
au juge du procès. Le juge du procès a porté (traduction) “une attention
rituelle aux facteurs qui doivent être examinés à fond. Il a indiqué qu’il
savait que le critère du “caractère indu” était objectif, qu’il devait décider
si le film outrepassait la norme d’acceptabilité de la société dans son
ensemble, mais il a lors attribué à la société dans son ensemble le sentiment
de dégoût qu’il a éprouvé en visionnant le film. Il n’a pas indiqué en vertu de
quoi il se croyait autorisé à agir ainsi et rien ne laisse croire qu’il a
tenu compte de la preuve de l’approbation de la Commission de censure qui
lui avait été soumise. Cette preuve n’a pas été contestée et, compte
tenu de la fin légale pour laquelle ces commissions ont été créées, je suis
d’avis qu’il s’agissait d’une preuve pertinente et qu’il était tenu
de la prendre en considération. (p.529 g-j à p.530 a) ( Ce qui permet au présent tribunal de
constater qu’il doit tenir compte de la preuve prépondérante et non contredite
du sondage et de l’expertise en psychologie et en sexologie s’il ne veut pas
commettre ce genre d’erreur.)
33.27 “Il est difficile de
concevoir qu’un juge siégeant dans une région donnée, ou même un jury choisi
dans cette région, soit mieux informé de ce qui est acceptable pour les
Canadiens de tout le pays.” ( p. 530 f )
33.28 “À mon avis, la pratique qui
consiste à permettre au juge des faits de s’appuyer exclusivement sur son
expérience personnelle des normes sociales de tolérance (voir R. v. Great West
News Ltd. (1970) 4 C . C. C. 307 (C. A. Man.) aux pages 314 et 315) invite
le genre d’erreur commise par le juge du procès en l’espèce. Le problème
peut être facilement évité en imposant à la poursuite de faire la preuve de
la norme sociale. Le juge des faits déterminerait alors la norme
sociale compte tenu de la preuve devant lui de la même façon qu’il tranche
les questions de faits dans les autres genres d’affaires criminelles.” (p.531 e-g)
33.29 “Pour l’instant, le juge des
faits dans une affaire d’obscénité peut être confronté par la tâche peu
enviable de décider du niveau de tolérance de 24 millions de personnes
en se fondant sur rien de plus que son expérience personnelle. En fait,
en l’absence de preuve, le juge des faits attribue par déduction ses propres
perceptions à la société canadienne dans son ensemble. Je crois
qu’imposer au juge des faits de prendre une décision compte tenu de la
preuve produite rendrait sa tâche plus facile et non plus difficile. Cela
inspirerait aussi au public une plus grande confiance dans les résultats.
En outre, cela aurait aussi pour effet très désirable de renforcer
l’uniformité de l’application du droit de l’obscénité puisque la
preuve des normes sociales qui s’applique
à une poursuite sera normalement pertinente dans les autres cas.”
(p. 531 i-j à p. 532 a) (Ce qui permet au présent tribunal de conclure que pour
prendre une décision et “renforcer l’uniformité de l’application du droit,”
il doit prendre une décision compte tenu de la preuve établie par le sondage et
l’expertise en psychologie et en sexologie, s’il veut éviter une telle erreur.)
34.
Ces passages du jugement de la Cour Suprême s’inscrivent parfaitement
dans l’ordre des principes de base de la justice criminelle en matière de
fardeau de la preuve qui est fondamentalement basée sur la présomption
d’innocence.
35.
Toutefois, il est fort étonnant de constater que certains autres
passages du même jugement donnent l’impression au lecteur que la poursuite
n’aurait pas le fardeau de mettre en preuve certains des éléments essentiel de
l’article constitutif d’infraction.
36.
En effet, dans la partie du jugement rendue par un autre juge et que
l’on retrouve aux pages 511 et suivantes dans l’affaire Town Cinema, le
lecteur peut constater sous la rubrique “La question de la preuve” qu’on dirait
que, contrairement au principe général des règles du fardeau de la preuve en
matière criminelle, la poursuite n’aurait pas le même fardeau de la preuve.
37.
En réalité, cette autre approche a comme conséquence apparente et réelle
d’imposer au juge d’établir lui-même la preuve qu’il doit juger objectivement.
Pourtant, ce juge admet d’emblée qu’il s’agit d’un “problème épineux” :
37.1
“La question de savoir qui a le fardeau de la preuve et ce qui doit être
prouvé devant le juge des faits dans les causes d’obscénité est un problème
épineux qui se pose fréquemment. En vertu de la règle énoncée dans l’arrêt Hicklin,
la preuve d’expert est généralement considérée comme non pertinente” (p.512
d)
38.
Il est inhérent à la règle du précédent dans la jurisprudence que
certains arrêts même très anciens ont encore toute leur pertinence. Toutefois,
il est également inhérent à ce système que de nombreuses causes sont désuètes
car la jurisprudence véhicule des principes qui, tout comme les idées et la
notion de niveau de tolérance, évoluent dans le temps.
39.
L’arrêt Hicklin remonte à 1868 et les moyens de preuve
par expert ont beaucoup évolués depuis lors et le test établi il y 130
ans est maintenant désuet.
40.
De plus, le fait que le jugement dans Towne Cinema ait été rendu en 1985,
peut expliquer pourquoi cette partie du jugement sur la preuve par expert,
vient en contradiction flagrante avec la jurisprudence postérieure de la Cour
Suprême du Canada en 1993 ( Tremblay c. R. (1993) 2 R. C. S.
932 ) qui est venue dire absolument le contraire et qui a déterminé que,
non seulement la preuve par expert est faisable et probante pour établir la
norme de tolérance de la société canadienne contemporaine, mais plus encore, cette
preuve peut se faire par un expert en sexologie et en psychologie.
41.
Cette jurisprudence postérieure de la Cour Suprême a même établi que
l’expert Michel Campbell qui est précisément le même expert qui a agi
dans le présent dossier et dans le dossier où la Cour Suprême du Canada a
déclaré clairement que non seulement cette preuve était recevable,
réalisable, scientifique et objective, mais qu’elle devait être prise en
considération au niveau de sa valeur probante pour déterminer le seuil de
tolérance de la société en matière d’indécence.
42.
Cet autre juge dans la cause de Towne cinema dispense la poursuite du
fardeau de prouver le seuil de tolérance pour le motif que d’imposer un tel
fardeau de preuve à la poursuite serait “irréaliste”, “coûteux”, “impossible”
et “douteux” :
42.1
“Depuis l’arrêt Great West News Ltd., je ne connais aucune opinion
majoritaire, exprime au Canada ou ailleurs dans le Commonwealth, qui ait rendu
obligatoire la preuve d’expert relativement aux normes sociales. Imposer
à la poursuite une telle obligation serait irréaliste. La preuve
d’expert est toujours coûteuse, parfois simplement impossible
à obtenir et fréquemment douteuse.” (p. 514 c, d)
43.
C’est affirmation ne sont pas autres choses que des affirmations
subjectives, gratuites et surtout illogiques. En effet, s’il fallait dispenser
la poursuite du fardeau de la preuve parce qu’elle est “coûteuse”, il
serait facile de libérer la poursuite de faire une preuve pour des raisons
strictement économique. C’est comme si la poursuite pouvait être dispensée de
faire le procès des motards criminalisés comme celui qui se déroule
actuellement au nouveau palais de justice Gouin parce que ce serait trop “coûteux”.
44.
De plus, un tel raisonnement pour des considérations d’ordre économique
créerait une justice à deux temps et inégale, donc inconstitutionnelle, car il
y aurait une justice pour les riches et
une justice pour les pauvres selon la capacité économique de faire une preuve.
Et où est donc l’équité et la justice quand c’est l’accusé qui, malgré la
présomption d’innocence et sa non obligation de faire la preuve, se retrouve
dans l’obligation de faire la preuve “coûteuse” d’un élément essentiel
de l’infraction comme dans le présent dossier ?
45.
En vertu de quoi il serait “irréaliste” et “impossible”
pour la poursuite de faire cette preuve alors que les accusés dans le présent dossier,
tout comme d’autres accusés dans d’autres dossiers, l’ont fait ?
46.
Ce serait comme de dire que les présents accusés ont réalisé
l’impossible en produisant des expertises coûteuses.
47.
Comment et en vertu de quelle preuve ce juge peut-il affirmer que les
expertises sont “fréquemment douteuses” ?
48.
Doit-on croire et même présumer que les témoins déclarés experts par la
cour sont des gens malhonnêtes et incompétents et qu’il faut fréquemment douter
de leur parole ?
49.
Ouvrons une parenthèse dans l’étude du jugement de Towne Cinema c. La
Reine pour tenter de comprendre ce que contient exactement le cas d’espèce
auquel on fait référence à savoir la cause de
R. v. Great West News Ltd.
50.
C’est en lisant directement le texte intégral du jugement rendu le 2
janvier 1970, dans R. v. Great West News Ltd. (1970) 4 C . C.
C. 307 (C. A. Man.) que le tribunal peut constater que les affirmations de
ce juge implique une accusation différente que celle qui nous concerne et que
certaines nuances doivent être apportées.
51.
En effet, dans R. v. Great West News, il s’agissait d’une accusation de distribution
de matériel obscène qui implique le concept de l’exploitation indue du
sexe, lequel concept n’est pas pertinent à l’accusation de maison de
débauche qui concerne le présent tribunal.
52.
Cette accusation était portée en vertu de l’article 150 (8) tel qu’il
appert à la page 308 du jugement rendu le 2 janvier 1970 dans Great
West et la formulation de la loi semble créer un genre de présomption qui
pourrait laisser croire que le fardeau de la preuve de la poursuite serait
facilité :
52.1
“Under s. 150 (8) (enacted 1959, c. 41, s 11) of the
Criminal code “ any publication a dominant characteristic of
which is the undue exploitation of sex … shall be deemed to be
obscene.”
53.
C’est simplement en regardant les images des revues en question, qu’il a
semblé évident pour le tribunal dans R. v. Great West News qu’il était facile
de se faire d’abord une opinion sur l’exploitation indue du sexe, sans
qu’il soit même nécessaire d’avoir le témoignage d’un expert pour l’établir.
54.
La conclusion du juge sur le premier concept qui est celui
de l’exploitation indue du sexe apparaît aux passages suivant de
la page 308 dans R. v. Great West News Ltd. (1970) 4 C. C.
C. 307 (C. A. Man.) :
54.1
“The heavy
concentration upon nude female figures deliberately posed to reveal their
genitalia – often with the pubic hair shaved so as to permit an unobstructed
view not only of the exterior portion of the female organ but also to some
degree of its internal apparatus – clearly shows that a dominant
characteristics of these magazines is the undue exploitation”
55.
Donc c’est parce que le juge avait une telle preuve, qu’il lui est apparu
évident de pouvoir conclure qu’il s’agissait d’une exploitation indue du sexe
sans avoir besoin d’un expert pour l’éclairer sur le sujet.
56.
La conclusion du juge sur le deuxième concept, qui est
celui de l’obscénité, lui est apparue toutes aussi évidente que
pour le premier, sans avoir besoin d’un expert, puisque la loi prévoit qu’une
publication dont la caractéristique
dominante est l’exploitation indue du sexe est réputée être obscène,
tel qu’il appert à la page 309 :
56.1
“Any publication, a dominant characteristic of which
is the undue exploitation of sex, is deemed to be obscene, according to
the s. 150 (8) (enacted, 1959, c. 41, s. 11) of the Criminal Code. No
difficulty is experienced in finding that a dominant characteristic, one might
say the only characteristic, of pictorial and written material herein impugned
is the exploitation of sex. The material has been sufficiently described in the
judgment of my brother Freedman and I shall not add to his discription (sic).
By any definition of the word the material can only be characterized as
pornographic and the activities of the appellant described as the distribution
commercially of “dirt for dirt’s
sake”. The material is devoid of literary or artistic worth.”
57.
Dans sa perception, ce juge était convaincu qu’il avait une preuve
suffisante à la face même des documents, pour qu’il puisse conclure qu’il
s’agissait d’un matériel obscène, sans avoir besoin d’un expert
pour l’éclairer sur le sujet.
58.
Donc encore une fois, le juge dans Great West News ne semblait pas avoir
besoin d’un expert pour tirer une conclusion du texte de loi lui-même, à
l’effet que, le matériel ayant comme caractéristique dominante l’exploitation
indue du sexe, est en soit obscène.
59.
C’est ainsi que le juge a pu conclure sur le troisième concept,
qui est celui du seuil de tolérance de la société canadienne et
contemporaine, il allait de soit que l’obscénité étant
nécessairement contraire aux normes de tolérance de la société, qu’il n’était
pas nécessaire d’en faire la preuve.
60.
Pour atteindre cette conclusion le juge dans R. v. Great West News se
base sur une interprétation d’une opinion minoritaire dans une
décision d’un tribunal américain, tel qu’il appert à la page 311 :
60.1
“In Re Giannini et al. (1968 ) 446 P. 2d 535 at p. 543, however, a
majority of the Supreme Court of California said: “We cannot assume
that jurors in themselves necessarily express or reflect community standards;
”, holding that expert testimony should be introduced to establish
community standards. The minority of the Court held
at p. 547 that this would “impose a difficult or impossible burden”.
61.
C’est donc dire que non seulement le juge a retenu la conclusion d’un jugement
non canadien, mais en plus, il a omis de respecter la décision émise par la
majorité des juges ( “ a majority of the Supreme Court”)
établissant l’obligation (should be introduced) de faire la
preuve du seuil de tolérance de la société par le témoignage d’un expert (expert
testimony) et mais il a aussi retenu l’opinion minoritaire
disant “would impose a difficult or impossible burden”.
62.
C’est dans ce contexte particulier de matériel obscène et non pas
dans le contexte d’une maison de débauche, que le juge semble dire que la
poursuite n’a pas besoin de faire plus de preuve car il est suffisant d’établir
le caractère dominant, tel qu’il appert au passage suivant de la page 316
dans Great West :
62.1
“But the Crown does not need to do that, since it
is enough to establish that a dominant characteristic of the magazines is the
undue exploitation of sex.”
63.
Par conséquent, dans le présent dossier, la poursuite a été bien
imprudente de s’inspirer d’une jurisprudence traitant de matériel obscène
et de l’appliquer aveuglément à un dossier de maison de débauche et
quand elle a décidé de ne pas faire d’expertise, en croyant qu’elle n’avait pas
l’obligation de faire la preuve du seuil de tolérance par expertise parce
“irréaliste”, “coûteux”, “impossible” et “douteux”.
64.
La poursuite a erré en se basant sur une partie du jugement dans
Towne Cinema ( qui lui-même réfère à la cause de Great West News qui elle–même
réfère au jugement minoritaire de la décision américaine dans Giannini, plutôt
que de considérer le jugement majoritaire dans ce dernier cas et qui dit :
“expert testimony should be introduced to establish community
standards”.
65.
L’évolution de la jurisprudence de la Cour Suprême du Canada est
d’ailleurs venue confirmer que c’est par le témoignage d’un expert, que
la preuve du seuil de tolérance se fait, comme on le voit dans R. c.
Tremblay, (1993) 2 R. C. S. 932-972, 23 ans après la cause
R. v. Great West News qui remonte à 1970 et dans le dossier de Towne
Cinema en 1985, soit 8 ans après Great West :
65.1
"Contrairement à la Cour d'appel, je suis d'avis qu'il était tout
à fait approprié que le juge du procès tienne compte du témoignage
d'expert de M. Campbell pour déterminer quelle était la norme de tolérance
de la société. Ce témoignage était pertinent et utile aux
fins d'apprécier, de manière objective, quels genres de comportements
sexuels seraient tolérés par les Canadiens. (R. c. Tremblay,
(1993) 2 R. C. S. p. 964 par. h, i ).
66.
Même dans l’hypothèse où le présent tribunal concluait que la poursuite
n’avait pas l’obligation de faire une preuve du seuil de tolérance de la
société canadienne et contemporaine, il n’en demeure pas moins que le tribunal
est saisi d’une preuve d’expertise dont il doit tenir compte quand vient le
temps de déterminer la prépondérance de preuve et sa valeur probante.
67.
Même dans l’hypothèse où le tribunal concluait que la poursuite n’avait
pas une obligation, il n’en demeure pas moins que la jurisprudence dit que
cette preuve par expert est recevable, souhaitable et pertinente et que le
présent tribunal doit rendre sa décision en considération de la preuve qui lui
est soumise.
68.
Nous fermons maintenant la parenthèse ouverte sur l’analyse du
jugement rendu dans R. v. Great West News Ltd. (1970) 4 C. C. C. 307 (C.
A. Man.) et qui est citée dans le jugement Towne Cinema, et nous
reprenons l’analyse de la jurisprudence en ordre chronologique.
69.
Le 28 novembre 1985 la Cour Supérieure du Québec, ( Pelletier c. R. (1986) R. J. Q. 595 ) siégeant en appel
d’une décision de la Cour Municipale de Montréal, renversait la décision de
première instance et prononçait l’acquittement pour une accusation de spectacle
indécent par la projection de vidéocassettes présentées publiquement
dans un bar, le 20 décembre 1983 , alors que “des danseuses
nues se donnaient en spectacle sur une scène ou à la table de certains
clients” ( p. 596 ) et que pendant ce temps, “ On présente une série
ininterrompue d’actes sexuels explicites de différentes natures entre
homme et femmes et entre femmes.” :
69.1
“ C’est un truisme que
d’affirmer qu’une législation, réglementant la conduite ou les actions des
citoyens, doit être suffisamment claire et précise pour permettre
de connaître, avec un certain degré d’assurance, ce qui
est défendu. ” ( p. 597 ) ( Ce qui permet au présent tribunal de juger
l’importance d’accorder le bénéfice du doute aux accusés qui ont été laissés
dans le “vide juridique” mis en preuve par un document de la police et
des avocats de la poursuite. C’est pour
la même raison que le présent tribunal est en droit de faire l’analogie avec la
nécessité d’établir des critères objectifs permettant aux citoyen “ de
connaître, avec un certain degré d’assurance”, ce qui est un
club échangiste authentique et ce qui ne l’est pas.
69.2
“ The need to re-affirm the necessity of
explicitness and specificity so that the “well-intentioned citizen” of
common intelligence will not have to guess at the meaning of a by-law is
particularly important in a by-law purporting to license and regulate the sale
of magazines.” ( p. 597 )
69.3
“ The
citizen must be able to ascertain beforehand how he stands with
regard to the criminal law; otherwise to punish him for breach of that law is purposeless
cruelty. Punishment in all its forms is a loss of right or
advantages consequent on a breach of law. When it loses this quality it
degenerates into an arbitrary act of violence that can produce nothing
but bad social effects. Opinion about what people ought morally to do are
almost as numerous as human beings, but opinions about what people are obliged
legally to do should be capable of being ascertained by legal
research..” (
p. 598 ) ( Ce qui permet au présent tribunal de conclure que, s’il condamnait
les accusés qui ne savent pas quoi faire légalement comme en a témoigné
Brigitte Chesnel et qu’en plus il existe ce “vide juridique” mis en preuve par
un document de la police et des avocats de la poursuite, cela constituerait une
cruauté inutile (purposeless cruelty ) et serait contraire aux droits
fondamentaux garantis par la Charte des Droits et des Libertés.).
69.4
“ In my opinion, one of the first characteristics of a
reasonable limit prescribed by law is that it should be expressed in
terms sufficiently clear to permit a determination of where
and what the limit is. A limit,
which is vague, ambiguous, uncertain, or subject to discretionary
determination is, by that fact alone, en unreasonable limit.
If a citizen cannot know with tolerable certainty the extent to which the
exercise of a guaranteed freedom may be restrained, he is likely
to deterred from conduct which is in fact lawful and not prohibited. Uncertainty
and vagueness are constitutional vices when they are used to restrain
constitutionally-protected rights and freedoms. While there can never be
absolute certainty, a limitation of a guaranteed right must be such
as to allow a very high degree of predictability of the legal consequences.”
( p. 599 ) ( Ce
qui permet au présent tribunal de conclure que le “vide juridique” mis en
preuve par un document de la police et des avocats de la poursuite rend
difficile voir même impossible de trouver les accusés coupables quand la
poursuite elle-même est dans l’incertitude. )
69.5
“ Secondly, the words “immoral” and “indecent”
are highly subjective and emotional in their content. Opinions honestly
held by reasonable people will vary widely. The current public debate on
abortion has its eloquent and persuasive adherents on both sides arguing that
their view alone is moral, that of their opponents immoral. Standards of
decency also vary even (or perhaps especially) amongst judges.
” ( Ce qui
permet au pressent tribunal de conclure qu’il doit être particulièrement
prudent et qu’il doit prendre en très haute considération la preuve
scientifique et objective faite devant lui, afin que le public puisse voir clairement
et hors de tout doute raisonnable que le juge a vraiment réussi
à mettre de côté son point de vue
personnel et subjectif pour rendre jugement en fonction de ce que la moyenne
générale de la société canadienne et contemporaine tolère comme le dit un
jugement précédent.)
69.6
“ There is nothing wrong in
the treatment of sex per se but there may be something wrong in the manner of
its treatment. It may be presented brutally, salaciously and in a degrading
manner, and would thus be dehumanizing and intolerable not only to the
individuals or groups who are victimized by it but to society at large. On
the other hand, it may be presented in a way which harm no one, in that it
depicts nothing more than non-violent sexual activity in a manner which neither
degrades nor dehumanizes any particular individuals or groups. It is this
line between the mere portrayal of human acts and dehumanization of people that
must be reflected in the definition of “undueness.” ( p. 601 ) ( Ce qui permet au pressent tribunal de conclure que son
jugement doit vraiment et indiscutablement refléter ce que la preuve a établi
scientifiquement et objectivement et non pas ce que le juge peut penser
personnellement et subjectivement. )
69.7
“ Il m’est impossible de ne pas souscrire aux propos émis par monsieur
le juge Dickson, alors membre de la Cour d’Appel du Manitoba, dans R. c. P.
lorsqu’il mentionnait que les tribunaux ne doivent pas s’ériger en
arbitre des pratiques sexuelles entre adultes consentants. Il ajoutait
le commentaires suivant :
69.7.1 In the result I am
of the opinion, (i) that the act of fellatio between male and female may be
grossly indecent depending on time, place and circumstances, and (ii) that,
saving what is proscribed in s. 147, Parliament never intended, by s.
149, to attach criminal sanction to sexual acts done in private by
consenting adults of different sex..”. (p. 604)
69.8
“What is needed is a fair objective standard
in relation to which the conduct can be tested. It is not to be a
subjective approach where the result would be dependent upon and varying
with the personal taste and predilections of the particular Judge or juryman
who happens to be trying the case.” (p. 604) ( Ce qui permet au présent tribunal de
constater que les expertises produites par la défense constituent de tels “fair
objective standard”.)
69.9
“Attitudes relating to sexual behavior are
constantly changing. In determining whether the conduct of the accused was
a very marked departure from decent conduct, it would have been of great
assistance to the jury to have been apprised by an admitted qualified
expert as to sexual practices being carried on in this country, which
are not regarded by many as abnormal or perverted. In the absence of such
evidence the jury would be left to make the determination dependent solely on
their own private views and their own experience..” (p. 604-605) (Ce qui permet
au présent tribunal de conclure à l’utilité et à la pertinence des expertises
produites par la défense.)
69.10
“Tous trois expriment l’opinion que le contenu du film “Fore Play” n’est
pas obscène : il ne dépasse pas le degré de tolérance du citoyen canadien
moyen. En résumé, ils soumettent les remarques suivantes : on y
montre explicitement des actes sexuels pratiqués couramment par les
membres de la communauté canadienne. Aucun violence sexuelle
n’est exercée par les participants. Aucun enfant n’y est impliqué
Ce film est présenté à des adultes qui se rendent volontairement
dans cet établissement commercial pour voir ce genre de
spectacle.” (p.605-606) ( Ce qui au présent tribunal de constater et de
conclure que cette description et ce
raisonnement s’appliquent raisonnablement bien à ce qui se déroule dans
un club échangiste comme celui de Brigitte et Michel mais en trois dimensions.
Il serait déraisonnable d’interdire aux membres de la société canadienne de
vivre en trois dimensions ce qu’ils peuvent voir en trois dimensions entre
adultes consentants hors du regard du public. )
69.11
“Contrairement à l’obscénité où l’auditoire n’a aucune pertinence
puisque c’est le comportement lui-même
ou sa représentation qui est condamnable et doit être proscrit, il en est
autrement , il me semble, lorsqu’il s’agit d’indécence. Dans ce dernier
cas l’auditoire, s’il y en a un, le lieu et le contexte de la
représentation deviennent des éléments essentiels à la détermination de
l’indécence, compte tenu du climat de tolérance canadienne puisque
l’acte, en soi, n’a rien de répréhensible.” (p. 606 )
69.12
“La lecture de la section des quotidiens montréalais consacré aux
annonces du cinéma, l’observation des affiches qui placardent ces salles, en
circulant dans les rues de Montréal, le témoignage des experts entendus,
le visa du Bureau de surveillance et la nature de l’auditoire qui
pouvait visionner cette vidéo cassette, auraient dû, au moins,
engendrer dans l’esprit du premier juge un doute raisonnable quant à savoir
si cette pellicule excédait le degré de tolérance de la communauté lorsque
projeté dans les circonstances décrites par la preuve.” (p.607) ( Ce qui
permet au présent tribunal de faire le parallèle avec les circonstances du
présent dossier, où, le témoignage des experts, les expertises produites, le
fait que les autorités publiques tolèrent le commerce taxable de vidéocassettes
montrant des scènes identiques ou similaires à ce qui se passait chez Brigitte
et Michel, le contexte discret et respectueux du local, l’absence de
plaintes pendant 21 mois sans aucune intervention policière, la lecture des
quotidiens montréalais produits au dossier et qui contiennent des pages
entières d’escortes qui, de toute évidence, offrent les services de femmes
pour des plaisirs sexuels. L’ensemble de cette preuve démontre qu’il y a
une très grande tolérance dans la société canadienne contemporaine quant à la
liberté sexuelle individuelle et que la tolérance de cette société face aux
échangistes consentants et avertis qui s’associent pour du sexe récréatif dans
un contexte plutôt privé, est compréhensible. )
70.
Le 9 novembre 1988 la juge Pierre Fontaine de la Cour Municipale de Montréal (R. c.
Tremblay, 1989 R. J. Q. 217 ) rejetait des accusations de maison de
débauche pour des événements survenus le 22 mars et le 20 avril 1988,
et dont je jugement sera confirmé par la Cour Suprême du Canada en 1993.
Puisque le jugement de la Cour Suprême dans Tremblay fait l’objet d’une analyse
approfondie dans le présent document et compte tenu des longs extraits
abondamment soulignés dans l’exemplaire du jugement de la Cour Municipale
contenu dans le cahier d’autorités de la défense, nous attirons l’attention du
tribunal sur les extraits suivants qui s’appliquent particulièrement bien au
présent dossier :
70.1
“ Il est à remarquer que, dans aucune des décisions précitées, les
standards de la communauté canadienne n’ont été plaidés ni même prouvés par
quelque témoin que ce soit contrairement à la cause que ce Tribunal a à
décider.” (p. 222)
70.2
“ Or, la preuve faite devant le Tribunal indique clairement
que, selon les circonstances relatives aux lieux, au temps
et la nature des actes commis, ceux-ci n’outrepassent pas les
limites de tolérance de la communauté canadienne en 1988”.
(p.222)
70.3
“ En appliquant ce test au cas présent, on peut dire ce qui suit :
ce qui importe et ce qui est pertinent ce n’est pas ce que les
citoyens canadiens approuvent pour eux-mêmes, c’est ce que les citoyens
canadiens sont prêts à tolérer comme activités dans un endroit
sans que ceci soit choquant, révoltant ou dégradant.” (p.223). ( Ce
qui permet au présent tribunal de conclure que selon les experts et les
expertises et l’ensemble de la preuve, il semble effectivement que les citoyens
canadiens sont prêts à tolérer que d’autres citoyens canadiens fréquentent des
clubs échangistes tel que définis dans le sondage et chez Brigitte et Michel. )
70.4
“ D’autant plus qu’il n’y a pas de violence combinée à ces
activités d’auto stimulation et d’autogratification sexuelles et que, comme l’a
expliqué le témoin expert, le Dr Campbell, dans le contexte dans lequel
elles se déroulent, il ne s’agit là ni de déviation sexuelle ni
d’acte dégradant, même s’il est entendu qu’une partie de la population
peut très bien ne pas être d’accord avec ses activités, il n’en
demeure pas moins qu’elle est prête à tolérer que d’autres
personnes les exercent d’une façon privé et discrète, sans coercition
aucune et sans déranger les citoyens qui ne sont pas d’accord avec ces
activités ou qui ne désirent pas y participer. (p.224)
70.5
“ Or, ce faisant, la poursuite semble avoir oublié de tenir compte
d’une partie importante de la preuve présentée dans le présent dossier
et qui est celle sur laquelle ce Tribunal doit se prononcer.” (p.225-226) ( Ce
qui permet au présent tribunal de constater que dans le présent dossier la
poursuite semble commettre la même erreur d’omission.)
70.6
“ Puisqu’il a été mis en preuve que les actes de masturbation commis
tant par les clients que par les employés de l’établissement avaient
lieu en privé entre adultes consentants, et
ce, même si sur le plan juridique le 3668 Ontario Est était un endroit public, donc ouvert
à toute personne.” (p. 226) ( Ce qui permet au présent tribunal de conclure que
la preuve au présent dossier démontre comme dans l’affaire Tremblay, et ce
d’une façon prépondérante et suffisamment semblable, que les activités chez
Brigitte et Michel “avaient lieu en privé entre adultes
consentants, et ce, même si sur le plan juridique” le 1090 Rosemont ”était un endroit
public”. )
70.7
“ Puisqu’une preuve a été faite par au moins un témoin expert
qu’il ne s’agissait pas d’une perversion sexuelle, d’une déviation sexuelle
mais d’actes sexuels non pathologiques qui peuvent être tolérés par la
communauté canadienne.” (p. 226) ( Ce qui permet au présent tribunal de
croire que ce raisonnement et cette conclusion sont raisonnablement applicables
au présent dossier.)
70.8
“ La poursuite avait le fardeau de prouver hors de tout doute
raisonnable que les activités qui se déroulaient au 3668 Ontario Est,
durant la période mentionnée dans la dénonciation, excédaient les standards
de décence et de la tolérance de la communauté canadienne. Or, selon la
preuve faite devant le Tribunal, elle ne s’est pas déchargée de ce fardeau
hors de tout doute raisonnable. En effet, au contraire, de nombreux
éléments, tant dans la preuve de la Couronne que dans la preuve présentée par
la défense, nous indiquent que le seuil de tolérance de la communauté
canadienne n’a pas été dépassée.”. (p. 227) ( Ce qui permet au présent tribunal
de croire que ce raisonnement et cette conclusion sont tout à fait applicables
au présent dossier. )
70.9
“Quant à l’accusé, il n’avait aucun fardeau relatif à ce type de
preuve.” (p. 227) (Ce qui permet au présent tribunal de croire que ce
raisonnement et cette conclusion sont raisonnablement applicables au présent
dossier.)
70.10
“ Le tribunal ayant à juger
uniquement suivant la preuve présentée devant lui est lié par
cette preuve et, puisque cette preuve soulève à
tout le moins un doute raisonnable quant à la tolérance de la communauté
canadienne à l’égard des activités qui se déroulaient au Pussy Cat, le
Tribunal se doit d’en faire bénéficier l’accusé et donc de l’acquitter.”
(p. 227) (Ce qui permet au présent tribunal de croire que ce raisonnement et
cette conclusion sont raisonnablement applicables au présent dossier.)
71.
Le 27 février 1992 la Cour Suprême du Canada ( R. c. Butler 1992 1 R. C. S. 452 ).
accueillait l’appel d’une personne accusée de vente de matériel obscène
et ordonnait un nouveau procès pour des événements survenus le 21 août 1987
Comme pour les autres causes de jurisprudence analysées, nous référons le
tribunal au texte original et aux passages soulignés, dont nous retenons en
particulier les extraits suivants :
71.1
“Les Tribunaux doivent déterminer du mieux qu’ils peuvent,
ce que la société tolérerait que les autres voient en
fonction du degré de préjudice qui peut en résulter. Dans ce contexte,
le préjudice signifie qu’il prédispose une personne à agir de façon
antisociale, c’est-à-dire d’une manière que la société reconnaît officiellement
comme incompatible avec son bon fonctionnement.” (p. 454) ( Ce qui
permet au présent tribunal de constater que pour “déterminer du mieux”
qu’il peut ce que la société tolère, il est tout à fait approprié et
raisonnable d’utiliser des mesures objectives, comme les opinions d’un
expert en psychologie et en sexologie et un sondage scientifique, qui est
fait conformément aux règles de l’art, par un expert en sondage d’opinion.
Ainsi, le tribunal est en meilleure position pour éviter de rendre un jugement
en se basant uniquement sur son expérience personnelle. Dans la preuve ainsi
produite, le présent tribunal est à même de constater qu’une majorité de canadiens
tolère le fait que d’autres canadiens aient une vie sexuelle différente, et
notamment fréquentent des clubs échangistes tel que décrits dans le sondage, en
autant qu’ils ne dérangent personne. De
plus, cette preuve permet au présent tribunal de conclure que si un majorité de
canadiens tolère que d’autres fréquentent de tels endroits, c’est que la
société juge que les clubs échangistes ne prédisposent pas à un comportement
antisocial, sinon ce ne serait pas toléré. Le présent tribunal peut donc
ainsi jouer pleinement son rôle de décideur objectif, et établir des critères
qui lui paraissent plus vraisemblablement tolérables pour une plus grande
majorité de canadiens, car il semble important que les citoyens puissent
distinguer qu’il s’agisse d’un club échangiste
authentique et non pas d’un établissement qui camouflerait une maison de
prostitution. )
71.2
“Enfin, les choses sexuelles qui ne comportent pas de violence et
qui ne sont ni dégradantes ni déshumanisantes sont généralement tolérés
dans notre société et ne constituent pas une exploitation indue des choses
sexuelles, sauf si leur production comporte la participation d’enfant.” ( Ce
qui permet au présent tribunal de constater qu’il est très pertinent de
souligner que, selon la preuve au dossier, lors des activités qui se déroulent
dans un club échangiste comme Brigitte et Michel, il n’y “ pas de violence”,
ni de choses “dégradantes” ou “déshumanisantes” et on n’implique
pas d’enfants. Au contraire, si les parents échangistes authentiques peuvent avoir des clubs échangistes à leur
disposition loin de leurs enfants, cela permettra d’éliminer le risque de
préjudice social dont parle la jurisprudence, en protégeant encore d’avantage
les enfants qui ne sont pas alors exposés à brûle pourpoint à de rencontres échangistes
à la maison. Ce qui permet au présent tribunal de conclure que, loin de
prédisposer à un comportement antisocial, les clubs échangistes authentiques
donnent plutôt une alternative raisonnable pour permettre à la fois de protéger
le public, qui ne veut pas y
assister ou y participer, tout en permettant d’assurer le respect du
droit fondamental des échangistes à la liberté d’association garantie par la
Charte Canadienne des Droits et Libertés.)
71.3
“Afin de justifier la suppression de droits garantis par la Charte, les
prétentions morales doivent être fondées; elles doivent porter sur des
problèmes concrets, comme la vie, le préjudice, le bien être et il ne doit
pas s’agir simplement de divergences d’opinions ou de goûts. Il doit aussi
exister un consensus au sein de la population quant à cette prétention.” ( Ce
qui permet au présent tribunal de conclure que le sondage, les expertises en
sexologie et en psychologie ainsi que les témoignages mis en preuve,
constituent les meilleurs outils connus jusqu’à présent pour établir que, dans
la société canadienne et contemporaine, en autant qu’ils ne dérangent personne
et qu’ils sont consentants, les adultes peuvent vivre leur vie sexuelle
comme ils l’entendent (78% au Canada, 90% au Québec, p. 17 de
D-7) et du moment que les adultes qui les fréquentent ne dérangent personne
et qu’ils sont consentants, 64% des Canadiens et 76% des
Québécois ne voient aucun problème à l’existence des
clubs échangistes (p. 17 du sondage D-7). Il est raisonnable de croire que
le risque de préjudice social sera diminué d’une part par l’existence même des
clubs échangistes qui permettent d’assurer une certaine intimité sans déranger
et d’autre part par le fait que ces clubs échangistes rencontrent certaines
normes compatibles avec la norme sociale, canadienne et contemporaine.)
71.4
“En procédant à l’analyse sur l’article premier, le juge Wright a
exprimé l’opinion qu’une loi qui cherche à éliminer une liberté
fondamentale doit avoir un objectif plus précis que celui de contrôler
simplement les mœurs de la société ou d’encourager la pudeur ” (p.
463).
71.5
“Le matériel visé par les autres chefs d’accusation, qui ont trait aux
magazines et aux vidéocassettes, illustre une activité consensuelle
par des adultes qui ne comporte aucun recours à la force, à
la contrainte ou à la cruauté. Dans ce contexte, je ne puis
conclure que la représentation du corps humain ou de l’une ses parties, si
explicite soit-elle, ou qu’une présentation visuelle de personnes en train de
se masturber, d’avoir des relations sexuelles en groupe ou
d’autres activités hétérosexuelles ou homosexuelles, y compris des rapports
incestueux, se rapportent à première vue à des préoccupations précises qui,
dans une société libre et
démocratique, sont suffisamment urgentes et réelles pour justifier la
restriction de la liberté fondamentale qui en permet l’expression. Le même
raisonnement s’applique à l’égard des articles devant la cour qui sont décrits
comme des jouets ou des stimulants érotiques.” (Ce qui permet a présent
tribunal de constater que, ces critères qui sont ainsi considérés en matière de
matériel pornographique dans la cause en question, entraînent une réflexion et
une conclusion similaire en matière de clubs échangistes, d’indécence ou de
maison de débauche sans prostitution.)
71.6
“ Le ministère public n’a pas présenté une preuve forte et
persuasive pour établir les objectifs précis que l’on cherchait à réaliser
ni à démontrer que pareils objectifs justifient la restriction de la liberté
d’expression que les dispositions législatives attaquées cherchent à
réaliser.” ( Ce qui permet au présent
tribunal de conclure que ce commentaire et que ce raisonnement et cette conclusion sont applicables au
présent dossier pour prouver le caractère indécent ou intolérable des actes
dont il accuse les défendeurs.)
71.7
“ Notamment, le matériel dégradant ou déshumanisant place des femmes (et
parfois des hommes) en état de subordination, de soumission avilissante ou
d’humiliation. Il est contraire aux principes d’égalité et de dignité de
tous les êtres humains.” ( Ce qui permet au présent tribunal de constater que
selon ce qui a été mis en preuve comme comportement chez Brigitte et Michel en
particulier et dans le milieu échangiste en général, on n’y place pas “des
femmes (et parfois des hommes) en état de subordination, de soumission
avilissante ou d’humiliation”. Il n’y a rien de “ dégradant ou déshumanisant ”
qui ait été mis en preuve quant à ce
qui s’est passé dans le club échangiste Brigitte et Michel. C’est la
police elle-même qui est venu témoigner à l’effet que chez Brigitte et Michel
c’était respectueux et que personne n’était contraint. La police a même
prouvé que chez Brigitte et Michel on appliquait des principes “ d’égalité
et de dignité ” lorsque la policière indique que lorsqu’elle a dit non à
un homme, ce dernier l’a respecté et que lorsqu’une autre femme a rabaissé sa
jupe pour signifier son non-consentement, sa dignité de femme a été respectée
d’égal à égal.
71.8
“La philosophie de l’arrêt Hicklin pose en principe que les
représentations sexuelles explicites, notamment en dehors des
contextes approuvés du mariage et de la procréation, menacent la
moralité ou la structure de la société.” (p. 492). ( Ce qui permet au
tribunal de constater à quel point la société et la jurisprudence ont évolué,
en plus que de trouver dans cet extrait, l’illustration concrète de ce que
l’expert Campbell appelle le “sexe récréatif” et qui caractérise
le culture échangiste et la renaissance sexuelle des années 80, par
opposition au “sexe reproductif” qui ne laissait place à aucune
autre alternative durant une époque maintenant révolue.)
71.9
“Je suis d’accord avec le juge Twaddle de la Cour d’appel que cet
objectif particulier n’est plus défendable compte tenu de la Charte.
Imposer une certaine norme de moralité publique et sexuelle, seulement
parce qu’elle reflète les conventions d’une société donnée, va à l’encore de
l’exercice et de la jouissance des libertés individuelles qui forment la
base de notre contrat social. D. Dyzenhaus, “Obscenity and the
Charter : autonomy and Equalityʼn (1991), 1 C. R. (4th)
367, à la p. 370, dit qu’il s’agit là
d’un (traduction) “moralisme legal”, d’une majorité qui decide quelles
sont les valeurs qui devraient guider la vie de chacun, pour ensuite imposer
ces valeurs aux minorités. La prévention de “l’obscénité pour l’obscénité”
ne constitue pas un objectif légitime qui justifierait la violation de l’une des libertés les
plus fondamentales consacrées dans la Charte.” (p. 493) ( Ce qui permet au
présent tribunal de constater que dans ce dossier la situation ce n’est pas
qu’une majorité veut imposer sa volonté, mais qu’une minorité constituée
d’échangistes qui demande que la
majorité les respectent dans leur choix et que, justement, pour ne pas déranger
la majorité qui ne veut pas y participer, les échangistes authentiques
demandent de jouir pleinement de leur droit fondamental à la liberté d’association
dans un endroit suffisamment privé et clairement identifié comme un club
échangiste. La poursuite n’a fait aucune preuve à l’effet que cette demande de
la minorité échangiste soit déraisonnable et contraire au seuil de tolérance de
la société canadienne et contemporaine. )
71.10
“La bonne pornographie a sa valeur parce qu’elle sanctionne le désir
des femmes de ressentir du plaisir Elle rend hommage à la nature féminine.
Elle sanctionne un éventail de facettes de la sexualité féminine qui
sont plus nombreuses et plus véridiques que celles qui sont véhiculés par la
culture non pornographique. La bonne pornographie célèbre à la fois le
plaisir de la femme et la rationalité de l’homme.” (p.500) ( Ce qui permet
au présent tribunal de constater que ce respect du désir de la femme et de la
rationalité de l’homme semblent être des objectifs également recherchés, et
même atteints, dans le climat qualifié de “respectueux” autant par la
policière, quand elle parle du club échangiste Brigitte et Michel, que
l’expert Campbell, quand il parle de la culture échangiste en général. Le
présent tribunal est donc en mesure de conclure qu’une telle culture de
respect, en particulier du droit de la femme de dire non, est loin de créer un préjudice en prédisposant à agir
d’une façon antisocial. Au contraire, une culture de respect comme celle de
l’échangisme authentique explique bien pourquoi il n’est pas surprenant qu’une
majorité de la société canadienne et contemporaine tolère les clubs échangistes
et n’est pas dérangée par leur existence.
)
71.11
“L’existence d’un motif économique sous-jacent ne prive pas en soi un
ouvrage de signification à titre d’exemple du sens artistique ou de
l’épanouissement personnel de l'auteur.” (p. 506) (Ce qui permet au présent
tribunal de conclure de la même façon quant à l’épanouissement personnel des
échangistes, car il serait inconséquent qu’on leur reconnaisse le droit à des
établissements, mais qu’on les aseptiserait de toute dimension économique. Ce
serait comme de vouloir empêcher les hôtels et les motels de faire de profits
pour le motif qu’ils offrent des locaux où les gens peuvent avoir des relation
sexuelles à volonté. L’aspect économique qui est humiliant et déshumanisant
dans la prostitution, c’est le fait que l’argent est donné en échange de
faveurs sexuelles que la personne soumise ou exploitée ne peut pas refuser. Le
fait que dans le sondage on démontre que la société tolère que ce soit dans un “établissement”,
(c’est-à-dire un lieu commercial qu’il ne faut pas confondre avec
endroit “public”), le présent tribunal peut conclure que l’aspect
intolérable de l’argent c’est qu’il serve à acheter la dignité humaine de la
personne soumise, et non pas que l’argent puisse servir à payer les frais
d’opération ou même que l’opérateur du commerce en tire un profit. Cette
conclusion est particulièrement compréhensible lorsque, comme dans le cas du
club échangiste Brigitte et Michel, les propriétaires se sont privés des
revenus lucratifs de la vente d’alcool.
71.12
“Dans l’arrêt R. c. Rioux, (1969) R. C. S. 599, la Cour a confirmé à l’unanimité
la conclusion de la Cour d’appel du Québec que le par. 163(2) (alors le par.
150(2) ne vise pas le fait de regarder en privé du matériel obscène. Le
juge Hall a confirmé la décision du juge Pratte, à la p. 602 :
71.12.1 “Si donc l’exposition “à
la vue du public” est mentionné dans le paragraphe 2a, c’est que le
législateur a voulu que celle-là seule, et non pas l’exposition privée,
constitue un crime.” (p. 506-507) ( Ce qui permet au présent tribunal de faire
un parallèle et d’appliquer un raisonnement semblable à l’indécence dont on
accuse les tenancier du club échangiste Brigitte et Michel. Sans le mentionné
dans le texte de la loi concernant les maisons de débauche et les actes
indécents, il n’en demeure pas moins qu’il est évident que les actes reprochés
auront des conséquences différentes selon qu’ils sont posés dans un contexte
et des circonstances carrément publiques (comme l’exemple
classique d’un parc ou d’une cour d’école) ou dans un contexte et des circonstances
plutôt privé comme un isoloir dans un débit de boisson ou encore un
établissement qui n’est pas un débit de boisson licencié comme le club
échangiste Brigitte et Michel ou le Pussy Cat dans l’affaire Tremblay.)
71.13
“Il importe en effet de souligner que le Code criminel est fondé
sur le principe de liberté sexuelle entre adultes consentants et de
responsabilité criminelle dans le cas de relations sexuelles entre des adultes
et des personnes mineurs (les jeunes de 14 à 17 ans sont l’objet d’un régime
particulier.” ( Ce qui permet au présent tribunal de considérer que ce principe
de liberté sexuelle est renforcé par son application par les garanties du droit
fondamental au respect de la vie privé et à la liberté d’association prévus
expressément dans la Charte. )
71.14
“Il semble que la tolérance soit, par rapport au goût,
l’équivalent conceptuel de ce que serait la personne raisonnable par rapport à
la personne qu’est un demandeur : une abstraction, peut-être une
moyenne. La tolérance serait une certaine forme de goût
éclairé de l’ensemble de la population et les résumerait.” (p.
520) (Ce qui permet au présent tribunal
de constater que les sondage D-7 permet
d’établir une moyenne et même un degré de tolérance plus élevée
qu’une simple moyenne de ce qui est toléré par l’ensemble de la société canadienne et contemporaine. Le présent
tribunal se doit également de souligner que cette tolérance est encore plus
élevée quand le gens ont une certaine connaissance de l’échangisme, donc quand
ils ont en quelque sorte un goût encore plus éclairé comme dit le
jugement analysé.)
72.
Le 2 septembre 1993 la Cour Suprême du Canada ( R. c. Tremblay, (1993)
2 R. C. S. 932-972 ) a renversé la décision de la cour d’appel rapportée à 1991
R. J. Q. 2766 et a restauré le jugement rendu en cour municipale le 9
novembre 1988, et acquittait les personnes accusés d’avoir tenu une maison
de débauche entre le 22 mars 1988 et
le 20 avril 1988, alors que des clients et des femmes payées pour ça,
pouvaient s’offrir des séances de masturbation en présence l’un de l’autre.
Nous avons déjà longuement analysé l'application de ce jugement au présent
dossier lorsque nous avons plaidé verbalement le 6 décembre 2002, nous référons
le tribunal aux transcriptions de notre plaidoirie verbale. Par conséquent nous
référons le tribunal aux passages soulignés dans notre cahier de jurisprudence
en résumant notre analyse de ce jugement aux extraits suivants :
72.1
"Le critère de la "norme de la tolérance de la société"
applicable à l'égard de l'indécence, à l'instar de celui utilisé. en matière
d'obscénité, requiert l'analyse des actes reprochés en fonction de plusieurs
considérations" (p 933, par. g, h, i,)
72.2
"Ces normes de tolérance admises, qui sont contemporaines et
changent avec le temps, et qui tiennent compte des normes de l'ensemble de
la société, existent et ne devraient
pas être outrepassées". (p 933, par. g, h,
i,)
72.3
"Cette détermination doit être faite d'une manière objective
suivant les normes contemporaines de la société canadienne, et ne pas
refléter simplement la conception personnelle du juge de ce qui est
tolérable". (p 933, par. g, h, i,)
72.4
"Le degré de préjudice – au sens de prédisposer une personne à
agir de façon antisociale – est un facteur dont les tribunaux peuvent tenir
compte aux fins de déterminer la norme de tolérance de la société. (p 933, par. g, h,
i,)
72.5
"Le degré de préjudice qui peut résulter de la présentation
au public des actes reprochés est pertinent lorsqu'il s'agit de
déterminer s'ils sont indécents." (p 933, par. j,)
72.6
"Il faut tenir compte du contexte dans lequel l'acte est
accompli car la norme de tolérance de la société variera en fonction du lieu
où l'acte se produit et de la composition de l'auditoire." ( p.
934 par. b)
72.7
"On peut tenir compte du but de la prestation et la nature
de l'avertissement ou de l'avis qui est donné relativement au
spectacle." ( p. 934 par. b)
72.8
"Il est légitime de recourir au témoignage d'un expert pour
déterminer quelle est la norme de tolérance de la société." ( p. 934
par. c)
72.9
"En l'espèce, pour rendre sa décision concernant cette norme, le
juge du procès s'est fondé à bon droit sur le témoignage d'un expert,
psychologue et sexologue, sur un rapport du gouvernement concernant les
problèmes liés à la pornographie et à la prostitution et sur le témoignage d'un
policier qui avait visité les lieux." ( p. 934 par. d)
72.10
"Aucun voisin ou client n'a formulé de plaintes
concernant les activités du club, et ce fait peut également être pertinent pour
déterminer si la société tolère de tels actes." ( p. 934 par. e)
72.11
"Les clients et les danseuses savaient exactement à quoi
s'attendre, consentaient au déroulement des activités en question et
pouvaient quitter les lieux." ( p. 934 par. e)
72.12
"Si on applique les renseignement recueillis par la commission
Fraser au cas du Pussy Cat, nous pouvons en déduire assez facilement et logiquement
que l'ensemble de la communauté canadienne est prête à tolérer que des
actes de masturbation, sans qu'il y ait de contact entre les personnes et entre
les adultes consentants, qui ont lieu privément même si le local est ouvert
au public, n'excédent pas les standards de la décence." ( p. 950
par. g, h, )
72.13
"D'autant plus qu'il n'y a pas de violence combinée à ses activités
d'autostimulation et d'autogratification sexuelles et que, comme l'a expliqué
le témoin expert le Dr Campbell, dans le contexte dans lequel elles se
déroulent, il ne s'agit pas là ni de déviation sexuelle ni d'acte dégradant, même
s'il est entendu qu'une partie de la population peut très bien ne pas être
d'accord avec ces activités, il n'en demeure pas moins qu'elle est prête à
tolérer que d'autres personnes les exercent d'une façon privée et discrète,
sans coercition aucune et sans déranger les citoyens qui ne sont pas d'accord
avec cette activité ou qui ne désirent pas y participer." ( p. 950
par. i, j, ) ( Le tribunal en la
présente instance est à même de constater que ce mot à mot de la Cour
Suprême correspond en grande partie au mot à mot de la définition du sondage
produit dans le présent dossier, ce qui démontre que le questionnaire
du sondage n'a pas été fait à la légère et qu'au contraire le sondage a cherché
à obtenir une réponse selon les paramètres de la Cour Suprême, qu’ils sont très
pertinents au présent litige et qu’il faut lui accorder une grande valeur
probante.)
72.14
"Le juge Fontaine en est arrivé à la conclusion:
72.14.1 (1) que selon la preuve, les clients du Pussy Cat savaient
exactement à quoi s'attendre,
72.14.2 (2) qu'aucun d'eux n'a été choqué par ce qui se passait
dans cet établissement,
72.14.3 (3) que les adultes présents avaient consenti aux
actes d'automasturbation,
72.14.4 (4) que le spectacle des danseuses nues au Pussy Cat était de la
même nature que celui exécuté dans les clubs où les danseuses touchent à
certaines parties de leur anatomie et que la police tolère,
72.14.5 (5) qu'aucun citoyen ne
s'était plaint des activités du Pussy Cat et enfin,
72.14.6 (6) que les actes accomplis
au Pussy Cat n'étaient pas pathologiques et étaient tolérés
par la société." ( p. 951 par. a, b, c, d, )
72.15
"Tous les arrêts soulignent que la norme applicable est la
tolérance et non le goût. Ce qui importe, ce n'est pas ce que les Canadiens
estiment convenable pour eux-mêmes de voir. Ce qui importe, c'est ce que les
Canadiens ne souffriraient pas que d'autres Canadiens voient parce que ce
serait outrepasser la norme contemporaine de tolérance au Canada que de
permettre qu'ils le voient" ( p. 958 par. i, j, )
72.16
"Le Shorter Oxford English Dictionary définit "tolérance"
toleration) comme "l'acte ou le fait de tolérer ou de permettre
ce qui n'est pas réellement approuvé". Il ressort de cette
définition qu'il existe une distinction entre ce qui n'est pas approuvé et ce
qui n'est pas toléré." ( p. 959 par. a, )
72.17
"À mon avis, les normes sociales contemporaines permettent de
tolérer la distribution de films qui comportent essentiellement des scènes où
des personnes ont des apports sexuels. Les normes sociales contemporaines
toléreraient aussi la distribution de films qui comportent des scènes d'orgie
sexuelle, de lesbianisme, de fellation, de cunnilinctus et de sodomie."
( p. 959 par. d, )
72.18
"Les tribunaux doivent déterminer du mieux qu'ils le peuvent ce que
la société tolérerait que les autres voient en fonction du degré de préjudice
qui peut en résulter. Dans ce contexte, le préjudice signifie qu'il
prédispose une personne à agir de façon antisociale comme, par
exemple, le fait pour un homme de maltraiter physiquement ou mentalement
une femme ou vice versa, ce qui peut-être discutable" ( p. 960 par. a, b, )
72.19 "Pour déterminer si un
acte est indécent, il faut tenir compte du contexte dans lequel
il intervient, car un acte n'est jamais accompli dans le vide juridique absolu.
La norme de tolérance de la société est celle de l'ensemble de la société,
Toutefois, ce que la société peut tolérer variera en fonction du lieu
où l'acte se produit et de la composition de l'auditoire. Par
exemple, un spectacle que la société peut tolérer comme convenant à la
clientèle d'un club peut ne pas convenir du tout aux élèves d'une
école secondaire." ( p. 960 par. g, h, i, )
72.20
"Ainsi, le juge du procès a statué que même s'il y avait
certainement des Canadiens qui n'approuveraient pas le genre de spectacle
exécuté par l'accusée et qui le trouveraient de mauvais goût, offensant ou inacceptable,
le numéro en question n'outrepasserait pas la norme de tolérance
de la société." ( p. 962 par. b, )
72.21
"Dans Pelletier c. La Reine, (1986) R.J.Q. 595, la Cour supérieure
du Québec a eu recours à une analyse contextuelle pour déterminer si la projection,
dans un club d'une vidéocassette montrant des scènes de
cunnilinctus, de fellation, de lesbianisme et de pénétration sexuelle,
pendant que des femmes nues dansaient sur scène, outrepassait la norme de
tolérance de la société. Dans le film vidéo, les participants étaient nus et,
parfois, les organes génitaux des hommes étaient montrés en gros plan. Une
scène en particulier montrait une femme introduisant dans son vagin le
manche d'un plumeau." ( p. 962 par. d, e, )
72.22
" … l'indécence vise le comportement sexuel ou sa
représentation qui n'est ni obscène ou immoral mais inapproprié
selon les normes canadiennes de tolérance à cause du contexte où il
survient. En d'autres termes, l'indécence ne provient pas du comportement
lui-même mais plutôt des circonstances où il se produit." ( p. 962
par. h, )
72.23
"Il a conclu que l'auditoire,
le lieu et le contexte étaient des éléments essentiels dont il
fallait tenir compte pour déterminer s'il y avait indécence." ( p. 962
par. j, )
72.24 "Contrairement à la Cour
d'appel, je suis d'avis qu'il était tout à fait approprié que le juge du
procès tienne compte du témoignage d'expert de M. Campbell pour
déterminer quelle était la norme de tolérance de la société. Ce témoignage
était pertinent et utile aux fins d'apprécier, de manière objective,
quels genres de comportements sexuels seraient tolérés par
les Canadiens. ( p. 964 par. h, i, )
72.25
"Les attitudes vis-à-vis des comportements sexuels sont en
constante évolution. Pour déterminer si la conduite de l'accusé se
démarque sensiblement de ce qui est jugé décent, les membres du jury auraient
tiré grand avantage du témoignage d'un expert compétent (et
considéré comme tel par les deux parties) concernant les pratiques sexuelles
qui ont cours au pays et qu'un grand nombre de personnes ne jugent pas
anormales ou perverses. Vu l'absence d'un tel témoignage, le
jury en est réduit à se fonder sur ses propres opinions et ses expériences
personnelles." ( p. 965 par. i, j, )
72.26
" ... les recommandations de ce comité constituent un instrument
valable et important pour mesurer le seuil de tolérance de l'ensemble
des citoyens canadiens face à des phénomènes comme la pornographie, la
prostitution ou les maisons de débauche, ce qui inclut
évidemment, il va sans dire, le phénomène de ce qui est indécent ou ce qui
ne l'est pas." ( p. 966 par. g, h, )
72.27
"Bien que la preuve de l'acceptation par la police de la
conduite reprochée ne puisse servir à déterminer la norme de tolérance
de la société, elle constitue néanmoins un indice utile de cette norme."
( p. 967 par. g, )
72.28
"Par conséquent, le juge du procès disposait d'une preuve
suffisante pour conclure à bon droit que la police tolérait des activités
semblables à celles qui se déroulaient au Pussy Cat. Cela pouvait
également être pris en considération aux fins de déterminer quelle était la
norme de tolérance de la société applicable aux actes qui se
déroulaient au Pussy Cat. ( p. 968 par. e, f, )
72.29
"Il ne faut pas oublier que les activités sexuelles se
déroulaient derrière des portes closes, et non à la vue du grand public."
( p. 969 par. j, )
72.30
"Ainsi, même si les actes étaient accomplis dans un endroit
public au sens du Code criminel, ils n'étaient pas accomplis à la
vue du public de manière flagrante, mais bien à l'intérieur d'une pièce
fermée, dans une relative intimité, et seuls des adultes consentants
y participaient." ( p. 970 par. i, )
72.31
"Les activités visées ne causaient aucun préjudice.
Le judas permettait tout au plus de s'assurer
qu'aucun préjudice n'était infligé à la danseuse ou au client. Comme M.
Campbell l'a fait remarquer, les actes étaient le fait d'adultes consentants
qui avaient choisi de se rendre dans un lieu qui, tout au moins
pour eux, offrait une certaine intimité." ( p. 970 par.
j, )
72.32 "Il est clair que toute
personne qui se rendait à l'établissement en cause savait exactement à quoi
s'attendre. Le client qui avait des réticences à se trouver dans une pièce
en compagnie d'une femme nue pouvait quitter les lieux, Tant que le client que
la danseuse connaissaient la nature des activités qui se déroulaient
dans la pièce, et tous deux consentaient au déroulement de celles-ci. Voilà
un facteur dont il pouvait être tenu compte pour déterminer si la société
tolérait les actes en questions. ( p. 971 par. d, e, )
72.33 "Ces actes ne sont pas
empreints de violence, et ils sont acceptés ou, du moins tolérés par la
société lorsqu'ils sont accomplis dans les clubs de danseuses nues.
Force est donc de conclure que la société tolère les gestes des danseuses du
Pussy Cat. ( p. 971 par. j, )
72.34 "D'aucuns seront
choqués par les présentes conclusions, mais ils doivent se
rappeler qu'il ne s'agit pas d'appliquer les normes du bon goût, mais plutôt de
déterminer si les actes en cause sont tolérés par la société. ( p. 972
par. b, )
73.
Le 13 décembre 1999 la Cour Suprême du Canada ( R. c. Pelletier no du greffe 296928,
rapporté à (1999) 3 R. C. S. 863 ).restaurait l’acquittement du
propriétaire d’un bar accusé d’avoir tenu une maison de débauche
en offrant des danses-contact dans un établissement licencié publique. Il a été jugé que des danseuses nues pouvaient
se laisser toucher les fesses et les seins dans des isoloirs dont
les rideaux étaient partiellement ouverts. Malgré le caractère encore plus publique
des lieux que dans le dossier de R. c. Tremblay à cause du fait que c’était un
établissement qui offrait à la fois la consommation d’alcool et de peau en
contre partie d’une somme d’argent, le plus haut tribunal du pays n’y a
rien trouvé d’indécent, ni de dégradant ou de déshumanisant pour la femme.
74.
Un tel jugement a été rendu sans faire la moindre analyse d’une preuve
du seuil de tolérance, de sondage, ni d’expertises.
75.
Le présent tribunal est bien fondé de se demander comment, compte
tenu d’un tel jugement de la Cour Suprême du Canada, il pourrait trouver
coupable une femme qui partage du plaisir, non seulement volontairement,
mais aussi gratuitement, dans un endroit qui n’a même pas le
caractère public d’un établissement licencié dans lequel n’importe
quel adulte peut entrer sans même sonner à la porte barrée, comme c’était
le cas chez Brigitte et Michel ?
76.
La réponse, du moins quant au présent cas d’espèce, se trouve dans la preuve
scientifique, objective et sans précédent quant aux clubs échangistes
comme chez Brigitte et Michel, contenue dans le sondage de l’opinion
publique, d’une expertise en psychologie et en sexologie
et de témoignages d’experts qui démontrent
dans leur ensemble que la société canadienne et contemporaine tolère,
d’une façon majoritaire, l’existence des clubs échangistes et qui
démontrent d’une façon encore plus grande, que la société canadienne n’est
pas dérangée ni par l’existence de ces clubs, ni par le fait que
d’autres les fréquentent selon les critères et la définition qui suivent :
76.1
des adultes d’âge légal,
76.2
avertis
76.3
et consentants
76.4
se retrouvent
76.5
pour voir ou participer
76.6
à des activités sexuelle explicites
76.7
en groupe
76.8
dans un établissement prévu à cette fin
76.9
et qui leur est réservé,
76.10
à l’abri du regard du public ne désirant pas y assister ou y participer.
77.
Le présent tribunal est à même
de constater que :
77.1
il s’agit là d’un nombre important de critères
77.2
qui servent en autant de filtres
77.3
pour donner un contexte et des circonstances
77.4
expliquant cette tolérance
77.5
dans une société démocratique
77.6
où le droit fondamental à la liberté d’association
77.7
et au respect de la vie privée doivent primer
77.8
en vertu des garanties accordées par la Charte Canadienne des Droits et
Libertés
77.9
surtout quand il est démontré que dans les clubs échangistes
authentiques les gens ont du respect et qu’ils traitent les autres en égaux et
que par conséquent il est raisonnable de conclure que cette culture hédoniste
ne prédispose pas ses adeptes à se comporter d’une manière antisociale.
78.
Le présent tribunal est également bien fondé de se demander quel message
la cour de plus haute instance au pays a bien voulu passer aux tribunaux
d’instance inférieur incluant les cours d’appel, en rendant un jugement aussi
lapidaire et aride de preuve ?
79.
La réponse peut être complexe et élaborée, mais si on veut simplifier
les choses il apparaît clairement que la Cour Suprême en se référant
succinctement aux jugements de R. c. Tremblay , (1993) 2 R. C. S. 932 et R.
c. Mara, (1997) 2 R. C. S. 630 il est raisonnable de conclure que le
message est de faire comprendre que, en matière de sexualité, les tribunaux
doivent évoluer le plus possible au rythme de la société et plus
particulièrement quant au seuil de tolérance qui évolue dans la société
canadienne et contemporaine et que :
79.1
quand il s’agit d’un endroit d’accès publique, mais offrant une relative
intimité, avec une plaquette extérieure affichant publiquement
“Pussy Cat” et qu’il n’est pas licencié, la société
tolère que des femmes soient payées pour se masturber
et s’offrir en spectacle tout en permettant à des clients, auxquels elles ne
peuvent pas dire non à cause de la contrepartie financière de se masturber
devant elles, mais sans contact physique entre eux (Tremblay en 1993 ) ;
79.2
quand il s’agit d’un endroit à caractère carrément publique
et qui s’affiche publiquement comme un établissement licencié , la
société ne tolère pas que des
femmes soient payées pour danser nues et tout en ayant
des contacts sexuels avec des clients
auxquels elles ne peuvent pas dire non à cause de la contrepartie
financière versée, autrement dit de se prostituer (Mara 1997);
79.3
quand il s’agit d’un endroit à caractère carrément publique
et qui s’affiche publiquement comme un établissement licencié, la société
tolère que des femmes
soient payées pour danser nues et tout en permettant à des clients,
auxquels elles ne peuvent pas dire non à cause de la contrepartie
financière versée, de leur toucher les seins et les fesses (Pelletier en 1999)
80.
Mais aucun tribunal au pays, y compris la Cour Suprême de Canada, n’a eu
à se prononcer sur le caractère indécent dans un cas d’espèce comme celui du
club échangiste Brigitte et Michel soit:
80.1
quand un endroit qui n’a même aucune plaquette, ni enseigne
sollicitant le publique
80.2
et qui ne s’affiche absolument pas publiquement sur la rue
80.3
et qui ne détient pas un permis d’alcool
80.4
et qui offre l’intimité relative d’aires ouvertes et d’aires clos
80.5
et au
sujet duquel une preuve objective et non contredite a été
faite par voie d’un sondage scientifique établissant d’une façon objective
que la société canadienne et contemporaine tolère que des adultes
d’âge légal, avertis et consentants se retrouvent
pour voir ou participer à des activités sexuelles explicites en groupe
dans un établissement prévu à cette fin et qui leur est réservé, à
l’abri du regard du public ne désirant pas y assister ou y participer.
81.
Quelles sont les contextes et les circonstances qui font que la
société canadienne et contemporaine tolère certaines activités à
connotation sexuelle et ne tolère pas certaines autres ? Est-ce que
c’est :
81.1
le fait qu’il y ait une contrepartie en argent pour
accorder des faveurs sexuelles, ou le fait que le gens le font gratuitement,
81.2
le fait que le contexte ressemble plutôt à de la prostitution
dans des circonstances de soumission et de servilité, où
les soumises ne peuvent pas dire non
à cause de la contrepartie financière, ou le fait que les actes sexuels puissent se faire dans un
rapport d’égalité et de respect, et où les gens peuvent refuser en tout temps
?
81.3
le fait que l’endroit soit plutôt public ou plutôt privé
?
81.4
le fait que l’endroit soit licencié ou pas licencié ?
81.5
le fait que les contacts physiques se fassent entre une
danseuse nue et des clients ou un endroit où le contrat social
intervient plutôt entre des membres d’un club qui s’associent pour
échanger des caresses entre eux à titre d’adeptes authentique de la
culture échangistes ?
81.6
le fait que les gens ont un comportement responsable en utilisant des
condoms ou le fait qu’on soit d’avantage intéressé à vous soutirer de
l’argent plutôt que de se soucier de la santé ?
81.7
le fait que chacun est libre de faire ce qu’il veut sexuellement en
autant de ne pas déranger les autres ou le fait que ce soit les
policiers qui décident de faire une descente parce que quelqu’un se plaint
qu’il n’aime pas le fait que vous soyez différents des autres ?
81.8
le fait que ce soit un club échangiste, clairement annoncé et identifié
comme étant un club échangiste, avec un code d’éthique et réservé à cette fin ou
un endroit plutôt clandestin où on ne sait pas trop ce qui nous attend parce
que n’importe qui peut y aller ?
81.9
le fait que des critères objectifs et précis permettent aux citoyens de
faire un choix libre et éclairé ou le fait que ce soit laissé à
l’arbitraire subjectif de la police et des autorités politiques ?
82.
Le présent tribunal peut trouver une réponse objective à
la plupart de ces questions dans la preuve faite devant lui et plus
particulièrement certaines pages du sondage D-7 :
82.1
page 17, question 4a), on voit que lorsque les adultes qui
participent à des activités sexuelles sont consentants (donc
lorsqu’il n’y a pas de rapport de soumission ou de contrainte) et qu’ils ne
dérangent personne, la tolérance est très élevée : 78%.
Donc le fait qu’il y ait un consentement et le fait que ce soit fait
avec discrétion pour ne pas déranger les autres, ce sont des
critères très importants pour déterminer le seuil de tolérance;
82.2
page 17, question 4c), on voit que lorsque ces adultes consentants
ne dérangent personne et qu’ils le font dans le contexte d’un club
échangiste, la tolérance est tout de même assez élevée : 64 %;
82.3
page 18, question 4a), on voit que, lorsque les gens ont déjà
entendu parlé des clubs échangistes, la tolérance est encore plus
élevée : 83%. Donc une société canadienne et contemporaine plus
informée tolère d’avantage que les autres vivent leur vie sexuelle
comme il l’entendent et l’existence des clubs échangistes semble être perçue
comme étant un véhicule qui favorise cette tolérance;
82.4
page 18, question 4a), on voit que, dans le groupe de gens
qui ont déjà entendu parlé des clubs échangistes, la tolérance est
encore plus élevée dans les groupes d’âge qui représentent 71% de la
société canadienne et contemporaine (pages 8 et 11 de D-7). En effet, cette
tolérance monte à 88% pour le groupe des 18-34 ans et à 78%
pour le groupe des 35-54 ans. Donc plus les gens sont informés sur les
clubs échangistes et plus il font partie du groupe d’âge de la grande majorité
de la population, plus ils sont d’accord pour que les adultes consentants
vivent leur vie sexuelle comme ils l’entendent dans le contexte d’un club
échangiste.
83.
Avec toute cette preuve qui démontre que la société canadienne et
contemporaine n’est pas dérangée par le contexte et les circonstances d’un club
échangiste comme Brigitte et Michel, le présent tribunal doit se demander
comment peut-il distinguer le présent dossier d’avec les jugements rendus
dans Blais-Pelletier, Mara et Tremblay ?
84.
Une première chose qui distingue un club échangiste de ces trois autres jugements d’une
façon très significative, c’est que dans un club échangiste, le contrat
social s’établit uniquement entre les membres du club et alors que
dans les trois autres cas, le contrat social intervient entre une
danseuse nue et des clients.
85.
La deuxième distinction significative c’est que dans ces trois autres
dossiers, il y a de l’argent qui donné à cette danseuse par les clients
à qui cette dernière accorde le droit de la regarder pour se masturber, de la
toucher ou d’avoir des contacts physiques, alors que dans un club échangiste
ces échanges se font sans aucune remise d’argent entre les participants.
86.
La troisième distinction significative c’est que dans le dossier de Mara et
de Blais-Pelletier (qui diffèrent du dossier de Tremblay où il n’y a pas de
contact physique entre la danseuse et le client), cette remise d’argent se fait
en contrepartie de contacts physiques à connotation sexuelles, ce qui est comparable
à un contexte de prostitution alors que dans un club échangiste
il n’est pas question de prostitution, notamment parce que les
échangistes partagent gratuitement entre eux.
87.
Cette troisième distinction du contexte et des circonstances comparables
à de la prostitution permet au présent tribunal de faire un rapprochement avec
le sondage qui indique quel est le seuil de tolérance de la société
canadienne et contemporaine à l’égard de la prostitution.
88.
Quand on veut évaluer le niveau de non-dérangement qui
varie de 64 % à 88% quant à l’échangisme en analysant les
réponses à la question 4c) en fonction des pages 6, 9, 10 et 11 du
sondage en comparaison avec le niveau de non-dérangement face à
la prostitution tel qu’établi en réponse aux question 1b) et
1c), le tribunal constate que ce pourcentage descend considérablement à 35%
et 47% seulement pour la prostitution.
89.
Ce qui permet au présent tribunal de conclure que si la société
canadienne et contemporaine n’est pas dérangée par les relations sexuelles
explicites même en groupe dans un club échangiste, c’est qu’il n’y a pas,
dans un club échangiste authentique, ce contexte dégradant et déshumanisant
d’échange d’argent entre une danseuse servile et un client qui reçoit des
faveurs sexuelles. C’est ce qui explique pourquoi dans Mara en
particulier il a été jugé que le contexte équivalant à de la prostitution n’est
pas toléré.
90.
La non-applicabilité du jugement rendu dans Mara au présent dossier
s’accentue encore plus en raison d’une autre différence fondamentale qui est le
caractère privé du lieu où se déroulent les activités. D’ailleurs, c’est
en considération de ce caractère privé que dans le jugement de Mara ont a
refusé d’appliquer le jugement rendu dans Tremblay.
91.
En effet, dans Mara on a refusé d’appliquer Tremblay parce que,
91.1
premièrement il y avait des contacts physiques contrairement au
dossier de Tremblay,
91.2
deuxièmement ces contacts physiques se faisaient entre des danseuses
et des clients dans une taverne qui est de nature carrément
publique alors que dans le dossier de Tremblay même si l’endroit est
publique, il y avait un certain caractère plutôt privé vu que le
contexte et les circonstances offraient
une “relative intimité”;
91.3
troisièmement dans Tremblay les activités se déroulaient dans une maison
privé sur laquelle il n’y avait qu’une petite plaquette à l’extérieure
et non pas d’un endroit s’affichant comme un lieu publique où n’importe qui est
invité à consommer de l’alcool et du sexe indistinctement comme dans Mara.
92.
C’est ce qui ressort des extraits suivants tirés de la page 11 du
jugement de Mara, selon l’édition déjà
produite sous l’onglet 7 du cahier de jurisprudence de la
poursuite :
92.1
“ Les principaux éléments qui distinguent la présente affaire de l’arrêt
Tremblay sont le contact physique entre des clients et des danseuses
qui a eu lieu ici, mais qui était défendu dans Tremblay, et la nature
publique de l’activité en l’espèce; cette activité s’est déroulée ouvertement
dans une taverne alors que dans Tremblay, les actes avaient été accomplis
en privé.”
92.2
“ Ces caractéristiques distinctives ont une incidence profonde
sur la conclusion d’indécence dans la présente affaire. La nature
publique de l’activité et le contact physique créent un
contexte factuel très différent des affaires précédentes.”
93.
Le présent dossier :
93.1
se distingue de Tremblay et se rapproche de Mara du fait qu’il y avait
des actes sexuels comme des fellations et des cunnilingus;
93.2
mais il se rapproche plus de Tremblay et s’éloigne de Mara à
cause du caractère privé d’un lieu qui offre une relative intimité;
93.3
et il s’éloigne encore plus de Mara, si on prend en considération le fait que dans
le présent cas, il n’y a même pas une plaquette extérieure pour solliciter le
public comme c’était le cas dans Tremblay.
94.
Aucun de ces trois jugements ne s’est prononcé sur des actes sexuels
dans le contexte très particulier d’un club échangiste authentique et
respectueux.
95.
Aucun de ces trois jugements ne s’est prononcé sur des actes sexuels
dans des circonstances qui prévalent dans un club échangiste où des adultes,
sont libres, donc consentants, car ils ne sont pas payés en contrepartie de
faveurs sexuelles.
96.
Aucun de ces trois jugements ne s’est prononcé sur des actes sexuels
dans un
club échangiste où tous les participants sont dans un rapport d’égalité
entre adultes et non pas dans un rapport dégradant ou déshumanisant de danseuses nues serviles et soumises à des
clients qui n’ont pas le même genre de comportement respectueux que ce
qui existe dans un club échangiste comme la preuve l’a démontré.
97.
Aucun de ces trois jugements ne s’est prononcé sur des actes sexuels
dont le contexte et les circonstances ont été vérifiés par un sondage mis en
preuve ,
et qui est sans précédent et qui a une incidence importante sur la décision à
rendre dans le présent dossier.
98.
Le présent tribunal doit trouver des différences entre les deux
contextes et circonstances et déterminer les raisons les plus évidentes
pour lesquelles la société est dérangée par la prostitution, mais tolère
les clubs échangistes.
99.
Pour ce faire, le présent tribunal doit prendre en considération
que :
99.1
dans la prostitution il y a un paiement d’argent en échange de faveurs
sexuelles comme dans Mara;
99.2
dans la prostitution il a un contact sexuel entre une danseuse et un
client comme dans Mara;
99.3
dans la prostitution le consentement de la danseuse est anéanti par le
paiement qui la prive de sa liberté de dire non, comme dans Mara;
99.4
dans la prostitution cette perte du droit de dire non à cause de
l'argent entraîne le risque de ne pas pouvoir dire non à une relation non
protégée par condom, comme dans Mara;
99.5
dans la prostitution le préjudice pour la société c’est que, le fait de
pouvoir traiter la femme dans un rapport d’inégalité est dégradant et
déshumanisant et prédispose à un comportement antisociale, comme dans Mara.
100.
En analysant ainsi les affaires Tremblay, Mara et Blais-Pelletier, le
présent tribunal peut donc, ainsi s’expliquer, pourquoi la société est moins
dérangée par l’échangisme que par la prostitution, et aussi il peut mieux
comprendre pourquoi la société canadienne et contemporaine tolère l’existence
des clubs échangistes dans le contexte et les circonstances qui sont précisées
dans la définition du sondage.
101.
Le 28 février 2001, la Cour d'Appel du Montréal, ( Roux
C La Reine 500-10-001798-006) a renversé le jugement rendu le 7
février 2000 par la Cour Supérieure qui, lui, avait rejeté l’appel fait par
les accusées du jugement de la Cour Municipale rendu le 21 mai 1999, et
a acquitté les deux femmes accusées d’avoir commis une action indécente
en participant à un spectacle offert dans un endroit publique et
licencié, car les contacts physiques se faisaient entre deux
danseuses et non pas entre une danseuse et un client.
102.
Cette distinction fait toute une différence avec la jurisprudence
précédente.
103.
Dans le présent dossier, la distinction qui fait toute une différence
avec les autres jugements, c’est précisément que dans les clubs échangistes,
tout comme dans ce jugement de la cour d’appel dans Roux, il n’y a aucun
contact physique entre les clients et les femmes qui se donnent en spectacle.
104.
Aux paragraphes 7, 8 et 9 de ce jugement la cour analyse la norme de
tolérance selon la jurisprudence dans R. c. Tremblay, (1993) 2 R. C. S. 932, R.
c. Butler et R. c. Mara, (1997) 2 R. C. S.
670.
105.
Des deux premières causes la Cour d'Appel retient que le "critère
déterminant" pour établir la norme de tolérance c'est le "degré
de préjudice qui peut résulter de la présentation au public".
"À cet égard, la Cour (Suprême) a affirmé que plus forte sera la conclusion
de l'existence d'un risque de préjudice, moins grande seront les chances de
tolérance" (par. 7).
106.
Positivement formulé cela signifie que le seuil de tolérance est
inversement proportionnel au risque de préjudice pour la société, et que
l’échangisme est plus tolérable que la prostitution parce que la société ne
voit pas dans l’échangisme, le préjudice qui est évident dans la prostitution.
107.
À ce principe la Cour Suprême ajoute les deux "composantes"
considérées dans Mara tel qu'il appert au paragraphe 8 du jugement sous
étude:
107.1
l'aspect "dégradant et déshumanisant" de l'acte
reproché;
107.2
et le risque de préjudice qui consiste à prédisposer les
personnes à agir d’une façon antisociale.
108.
Ce qui était "dégradant et déshumanisant" dans
Mara, c'est que l'acte reproché "prédisposait les personnes à
agir d'une manière antisociale" car le fait que la femme soit obligée de se soumettre contre sa
volonté, prédispose "les personnes à agir d'une manière antisociale"
et à considérer la femme comme un objet de plaisir au service de l'homme.
109.
C'est ce caractère servile de la relation danseuse-client, assimilable à
de la soumission sexuelle pour ne pas dire de l'esclavage sexuel, qui est "dégradant et
déshumanisant" et "prédisposait les personnes à
agir d'une manière antisociale".
110.
Pour appliquer ces principes au présent dossier, le tribunal doit
trouver dans la preuve, que ce qui se passait chez Brigitte et Michel était, hors
de tout doute raisonnable, à la fois "dégradant et
déshumanisant" et aussi "prédisposait les personnes
à agir d'une manière antisociale"
111.
C'est ce la Cour d'Appel indique au paragraphe 8 du jugement
analysé, en référant à la Cour Suprême dans Mara: "La Cour a jugé inacceptable
et dégradant pour les femmes de permettre qu'un tel usage soit
fait de leur corps au cours d'un spectacle public dans
une taverne".
112.
Dans le cas des clubs échangistes comme Brigitte et Michel, aucun de ces
deux éléments n'a été démontré dans la preuve faite devant le présent tribunal.
113.
Au contraire, selon la preuve prépondérante et non contredite au
dossier, la culture échangiste prédispose plutôt les gens à agir avec respect à
l'égard d'autrui et la société ne peut que tirer un bénéfice d'une culture qui
préconise et prédispose à agir d'une manière socialement respectueuse.
114.
Dans un club échangiste l'action survient librement et volontairement entre
les membres du club tout comme deux danseuses qui interagissent entre elles
et non pas entre une personne qui est obligée de le faire parce qu'elle est
payée pour cela et une personne qui paye l'autre pour acheter son droit de lui
toucher.
115.
Le fait que l'action se déroule non pas entre une personne payée et une
personne qui paie fait toute la différence, et a pour conséquence que la Cour
d'Appel conclut que, dans un tel contexte et dans de telles circonstances, la
relation sexuelle apparente entre les deux danseuses n'est pas dégradante, ni
déshumanisante et ne crée pas de risque de préjudice car elle ne prédispose pas
à un comportement antisocial.
116.
Et même là encore il faut ajouter que le fait que l'action se déroule
entre une serveuse et un client n'est pas nécessairement illégal, car "la
société tolère les actes suggestifs à caractère sexuels accomplis par
des danseuses nues, dans la mesure où ces actes ne sont pas empreints de
violence et sont posés dans les clubs de danseuses nues" (par. 25 référant
aux pages 971 et 972 de R. c. Tremblay.)
117.
De plus, le fait que cette action dans Mara se déroule "au cours
d'un spectacle public dans une taverne" est un élément qui
se retrouve dans Roux c. R mais qui est loin d'avoir été prouvé hors de tout
doute raisonnable dans le présent dossier.
118.
D'abord Brigitte et Michel n'est pas une "taverne", c'est à
dire n'est pas un établissement licencié.
119.
De plus, chez Brigitte et Michel, les actes sont accomplis non pas en
public, mais plutôt dans une "relative intimité", pour
employer l'expression utilisée dans R. v. Tremblay p. 970 par. i.
120.
Les notions d'actes dégradants et déshumanisants ainsi que du préjudice
prédisposant les personnes à agir d'une manière antisociale sont également
analysées aux paragraphes 14 à 24 du jugement dans Roux c. La Reine.
Cette analyse permet au tribunal en la présente instance de conclure que la
preuve faite dans le dossier du club échangiste Brigitte et Michel ne démontre
pas hors de tout doute raisonnable des circonstances qu'il peut qualifier de
"dégradant" et de "déshumanisant".
121.
La Cour d'Appel dans Roux c. La Reine, nous enseigne aussi qu'il y a un
troisième élément à considérer car "Pour bien apprécier la norme de
tolérance, on doit aussi tenir compte du lieu et de la composition de l'auditoire"
(par. 10). Or, chez Brigitte et Michel, tout comme dans le dossier de Roux c.
La Reine, "En l'espèce, il est en preuve que les spectateurs étaient
"avertis" (par. 10) de ce qui se passait à l'intérieur.
122.
Comme il est dit au paragraphe 22 dans le jugement de Roux c. La
Reine, les femmes qui vont s'amuser librement et volontairement dans un club
échangiste authentique "seraient sans doute étonnées que dans les
circonstances un tribunal qualifie de "dégradant" et
"déshumanisant" pour elles, leur participation". En effet,
si un femme se donne librement, volontairement et gratuitement accès à
plusieurs partenaires, cela ne fait pas d’elle une prostituée. Ce n’est pas
le fait d’avoir plusieurs partenaires qui est dégradant et déshumanisant pour
la femme, mais c’est plutôt le fait de perdre sa dignité en monnayant l’accès à
son corps.
123.
Comme il est dit au paragraphe 24 dans le jugement de Roux c. La
Reine, mais en l'adaptant au présent dossier, on pourrait poser la question
suivante: Comment faire comprendre aux adultes qu'ils ne peuvent pas voir et
faire en trois dimensions ce qu'ils voient en deux dimensions à la télévision,
au cinéma ou dans un établissement public et licencié ?
124.
En terminant avec ce jugement de la Cour d'Appel, il est remarquable de
voir à quel point la Cour d'Appel a elle-même évolué quand on compare les
commentaires de cette cour qui rendait son jugement le 28 février 2001
dans Roux c. La Reine comparativement au jugement plutôt sévère qu'elle a rendu
dans Tremblay c. La Reine en 1991.
125.
Cette évolution très significative en à peine 10 ans donne une
bonne idée de l'évolution du seuil de tolérance dans la société depuis 20
ans et de l’importance de s’éloigner de la jurisprudence étroite d’esprit d’il
y a 20 ans.
126.
Tous ces extraits, ou presque, du jugement dans Roux c. R. de la Cour
d’appel s'appliquent aux activités qui
se déroulaient au club échangiste Brigitte et Michel.
127.
Une des principales différences qui rapproche le présent cas d’espèce et
la cause de Roux et qui distingue ces deux jugements des autres jugements,
c’est justement que les contacts physiques ne sont pas entre une danseuse
obligée et un client qui contrôle. Dans Roux, les contacts se font uniquement
entre les deux danseuses consentantes, libres et volontaires qui ont des
contacts entre elles, tout comme au club échangiste Brigitte et Michel, où les
contacts se font uniquement entre les membres.
128.
Par conséquent, le présent tribunal doit plutôt conclure dans le sens de
la Cour d’Appel dans l’affaire Roux plutôt que dans le sens de Mara.
129.
Le fait qu'au club échangiste Brigitte et Michel les actes
n'impliquaient aucune personne qui était payée par un autre pour être utilisée
comme un objet sexuel, ne peut que rendre la chose plus tolérable pour la
société, car il y a absence totale de cet aspect "dégradant et
déshumanisant" et de cet aspect "préjudice" qui sont
susceptibles de prédisposer cette personne à un comportement antisocial.
130.
Quant au fait qu'il y ait des relations sexuelles entre les
"membres du club" uniquement est tout à fait sans précédent
(dans Mara les relations avaient lieu entre les clients et les femmes payées
pour servir d'objet sexuel). Cet élément nouveau a été analysé dans le sondage
D-7, qui est, lui aussi sans précédent et qui établit d'une façon prépondérante
et non contredite, que le fait d'avoir ces relations sexuelles dans le contexte
et les circonstances qui prévalaient au club échangiste Brigitte et Michel sont
tolérées par la société canadienne et contemporaine.
131.
Le sondage sur la tolérance de la société canadienne et contemporaine
face aux clubs échangistes ajoute aussi quelque chose d'autre qui est sans
précédent, c'est le fait que le sondage constitue un outil de mesure
scientifique et objectif, qui permet au juge de ne pas avoir à
déterminer subjectivement le seuil de tolérance selon son expérience
personnelle.
132.
L'acte sexuel en soit n'est pas indécent car, au contraire, il est tout
à fait naturel. Donc, c'est vraiment le contexte et les circonstances dans lesquels
il se déroule qui fait toute la différence.
133.
Il est vrai que dans le dossier de Tremblay c. La Reine, il a été pris
en considération qu'il n'y avait pas de préjudice étant donné qu'il n'y avait
pas de contact physique et donc pas de risque apparent de maladies susceptibles
d'être transmises sexuellement.
134.
Il y a quatre éléments qui permettent au présent tribunal de
croire que le "risque de préjudice" n'est pas ce qu'il peut sembler
être pour ceux qui ne connaissent pas la culture échangiste.
134.1
Premièrement, dans le jugement plus sévère rendu dans Mara à la page 2 et au
paragraphe 46 de la page 12, la Cour Suprême a dit que le fait qu'il
puisse y avoir un risque de transmission de maladie revêt une importance
bien secondaire quant vient le temps de déterminer s’il y a indécence :
134.1.1 “ La possibilité qu’un préjudice soit causé aux exécutantes mêmes
– le risque de préjudices découlant de maladies transmises sexuellement
et d’activités semblables à la prostitution – bien qu’elle soit regrettable, n’est
pas un facteur essentiel aux fins de l’art. 167. Le risque que les
exécutantes subissent un préjudice n’est pertinent que s’il
aggrave le préjudice social résultant de l’avilissement des femmes et de
leur traitement comme des êtres objets. Enfin, le contact physique
entre clients et danseuses et la nature publique de l’activité en
question sont les principaux éléments qui distinguent la présente
affaire des arrêts Tremblay et Hawkins.” (p.2)
134.1.2 “ Quant à la prise en
considération du risque de maladies transmises sexuellement, étant donné
que je n’accorde tout au plus que peu d’importance à ce facteur,
je m’abstiendrai d’examiner s’il était approprié que la Cour d’appel tienne
compte de ces risques pour déterminer s’il y avait indécence.” (p. 12
par. 46)
134.2
Deuxièmement, la preuve démontre que dans le milieu échangiste en général et au club
échangiste Brigitte et Michel en particulier, on préconise et on utilise le condom
et que Brigitte Chesnel elle-même en fournissait au besoin. C’est très
différent du comportement antisocial décrit par les tribunaux dans les cas de
bars de danseuses nues.
134.3
Troisièmement, la preuve démontre que les adeptes de l'échangisme sont en
grande partie des couples qui rencontrent d'autres couples et qui ont une culture
de respect les uns des autres. Ils ne sont pas intéressés d'attraper des
maladies au sein de leur couple, par opposition aux clients de passages qui
achètent du plaisir avec une danseuse ou une prostituée et qui ne se soucient
pas de cette dimension. Afin de diminuer le risque de préjudice social qui
pourrait découler de la clandestinité et de l'incertitude des clubs échangistes
qui sont dans un “vide juridique”, la solution est plutôt de permettre aux
échangistes authentiques d'avoir un endroit bien identifié comme un club qui
offre un contexte et des circonstances qui seront clairs pour tous. Si les
échangistes n’ont pas de tels clubs, il risque de se produire ce qui se passe
actuellement pour la prostitution, c’est-à-dire que les échangistes vont
continuer leurs activités, mais dans une zone grise et incertaine qui
favorisera la clandestinité et le crime organisé.
134.4
Quatrièmement, la société ne peut que bénéficier du fait que des citoyens soient
respectueux de cette façon, car cette culture prédispose les gens à avoir un
comportement qui n’est pas antisocial.
135.
Le 18 janvier 2002 le Comité de déontologie policière ( C. D. P. c. Alleva C-2001-2998)
rendait une décision établissant que les policiers n’ont pas respecté
l’autorité de la loi et des tribunaux et ont enfreint l’article 4 de la Charte
des droits et libertés de la personne en laissant prendre des images photos
et vidéos des échangistes, lors d’une descente policière à l’hôtel Best
Western de Brossard le 2 juillet 1999.
136.
Ces images de personnes nues à l’intérieur de la chambre d’hôtel qui ont
été prises par les média grâce aux policiers qui ont laissé la porte du
motel ouverte avaient, entre autre, parues en première page du Journal de
Montréal selon la pièce P-8 (p.8 par. 21).
137.
Le policiers ont publiquement déclaré aux média qu’il s’agissait de prostitution
alors qu’ils savaient que c’était faux. Une fois que les média ont publié cette
fausse information, les policiers ont du se rétracter, mais il était
trop tard car le dommage était fait et les échangistes avaient déjà été
humiliés et jugés par leurs familles, leurs amis, leurs voisins et par la
population en générale.
138.
Cette jurisprudence permet au présent tribunal de comprendre la demande
des accusés de faire détruire les images vidéos et photos qui ont été prises
par les policiers dans le présent dossier. Ils soumettent que les policiers n’ont
pas respecté l’autorité de la loi et des tribunaux et ont enfreint
l’article 4 de la Charte des droits et libertés de la personne en prenant des images
photos et vidéos des échangistes chez Brigitte et Michel sans avoir été
autorisés par un juge ou par la Loi sur l’identification des criminels.
139.
La preuve a également révélé que les policiers se sont arrogé le droit
de prendre des photos de citoyens accusés de s'être trouvés dans une
maison de débauche, ce qui constitue une simple infraction sommaire, laquelle
ne permet pas la prise de photos en vertu de la loi sur l'identification des
criminels (L. R. C. ch.I-1).
140.
En effet, l'article 2 de cette loi ne permet la prise de photographies
et d'empreintes digitales
uniquement dans le cas d'accusations
d'actes criminels en vertu du code criminel et de certaines autres lois non
applicables dans le cas des présents accusés.
141.
La preuve faite au présent dossier démontre que les échangistes qui se
rencontraient chez Brigitte et Michel étaient de simples “badauds” non
criminalisés mais que les policiers ont également humilié en prenant ces
images.
142.
Quand les policiers en sont rendus à s’en prendre à de simples citoyens
en les traitant ainsi, il est nécessaire et urgent que les tribunaux
interviennent pour protéger ces derniers contre les “abus d’autorité de
la part des policiers qui, en usant ainsi de leurs pouvoirs, posent des
gestes répréhensibles, excessifs et mauvais” (p.11 par. 43) et portent
ainsi atteinte à la vie privée d’une minorité de gens dont le comportement est
pourtant toléré par une majorité de la société canadienne et contemporaine.
143.
Ce n’est pas parce qu’un seul individu envoie une lettre au maire que
cela signifie que le seuil de tolérance de la société canadienne et
contemporaine est outrepassée.
144.
Ce n’est pas parce qu’une minorité de citoyens agit différemment de la
majorité que cela donne le droit à la police de les pourchasser comme dans une
chasse aux sorcières. Un peu comme les témoins de Jéhovah pourchassés par la
police de Duplessis, il semble que ce soit au tour des échangistes d’avoir
besoin de l’intervention des tribunaux pour se faire démystifier et reconnaître
comme n’étant pas une menace pour la société.
145.
Nous analyserons maintenant la jurisprudence de la poursuite.
146.
Le 12 janvier 1982 la cour d’Appel d’Ontario (
R. v. Pitchford and Cook,66 C. C. C. (2d) 568, onglet 1) confirmait un verdict de culpabilité pour
une accusation d’avoir tenu une maison de débauche en mars 1980 et mais qui
a changé la sentence pour une sentence de libération conditionnelle.
147.
Ce jugement est loin d’être dommageable au présent dossier et il aide
même la présente cause pour plusieurs raisons :
147.1
il s’agit d’un jugement concernant des événements survenus depuis plus
de 20 ans et qui ne pouvait prendre en considération que les valeurs contemporaines
de cette époque, depuis laquelle est survenue la renaissance
sexuelle des années 80 dont témoigne l’expert Campbell;
147.2
par conséquent, les normes contemporaines qui auraient pu être prises en
considération pour déterminer le caractère indécent d’il y a 20 ans ne
sont pas utiles car elles sont ou bien périmées ou inexistantes;
147.3
dans ce jugement il n’y a aucune preuve du seuil de tolérance de
la société canadienne et contemporaine, ni par expertise, ni par sondage, ni
par témoignage d’expert en sexologie et psychologie, ni par témoignage d’expert
en sondage d’opinion publique;
147.4
dans ce jugement il n’y a aucune discussion ni analyse de la
notion de tolérance de la société pour juger du caractère indécent de la maison
de débauche en question;
147.5
on y parle de “membership list” (p. 571) qui rejoint la notion de
carte de membres dont la défense suggère l’utilisation comme paramètre pour
déterminer le caractère authentique des clubs échangistes;
147.6
on voit dans ce jugement la démonstration du besoin d’une Charte des
Droits et Libertés qui protège la vie privée et garantie la liberté
d’association;
147.7
finalement le fait que le juge ait changé la sentence pour accorder
une libération conditionnelle démontre bien que déjà en 1982 les tribunaux
ne considéraient pas ce genre d’activités comme étant bien grave.
148.
Les causes de Towne Cinema sous l’onglet 2 et de Pelletier
sous l’onglet 3, et qui sont favorables à la défense ont déjà fait
l’objet d’analyses parmi la jurisprudence produite par la défense.
149.
Le 4 mars 1996 la cour d’Appel d’Ontario ( R. v. Ludacka 46 C. R. (4th) 184)
renversait la décision de première instance qui avait prononcé un acquittement
pour une accusation d’avoir permis la présentation d’un spectacle indécent,
soit du “laps dancing”, dans une théâtre public qui vendait de
l’alcool le 11 avril 1992.
150.
Le tribunal doit immédiatement conclure que cette jurisprudence de 1996 sur les danses contacts ne
fait plus force de loi depuis que la Cour Suprême du Canada en a décidé
autrement 3 ans plus tard soit le 13 décembre 1999, dans Blais-Pelletier c
R. tel qu’il appert à l’onglet 13 du cahier de jurisprudence de la
poursuite et que la défense a également produite et analysée.
151.
Par contre plusieurs éléments de faits dans R. v. Ludacka et qui en
expliquent le verdict de culpabilité, doivent être pris en considération a
contrario ou être distingués par rapport au présent dossier :
151.1
il s’agissait d’un endroit carrément publique mais pas dans le
présent cas;
151.2
il s’agissait d’un endroit qui avait un permis d’alcool mais pas
dans le présent cas ;
151.3
il y avait un risque découlant du fait que les contacts physiques non
apparemment protégés et par conséquent susceptibles de favoriser la
transmission de maladies, alors que dans le présent cas il est établi qu’il y avait
usage de condoms et que les adeptes
authentiques de la culture échangistes en font généralement l’usage et la
promotion.
151.4
Ce qui a été dit de la façon suivante dans ce jugement :
151.4.1 “Furthermore, particularly
because the activities were carried on in licensed premises,
there is a real risk of physical harm to the performers, the harm
of unwanted sexual touching, of sexual assault.” ( Ce qui permet au présent
tribunal de constater que dans un club échangiste c’est tout à fait le
contraire qui se passe, c’est-à-dire que les échangistes sont respectueux du
refus des autres et qu’ils utilisent des condoms selon les règles d’un code
d’éthique qui a été mis en preuve. De plus, comme les gens ne sont pas obligés
de boire de l’alcool comme dans un établissement licencié, le risque est moins
élevé que les gens s’enivrent et aient un comportement antisocial. Dans un
établissement licencié les gens sont obligés ou incités à consommer de l’alcool
susceptibles de diminuer leur capacités, alors que chez Brigitte et Michel les
gens apportent de l’alcool s’ils veulent en boire, mais ils ne sont pas
obligés. );
151.5
ce qui permet au présent tribunal de conclure, que ces comportements
n’ont pas été mis en preuve dans le présent cas, et qu’au contraire, les
adeptes authentiques de la culture échangiste, en général et chez Brigitte et
Michel en particulier, la femme est traitée avec respect sans que
personne ne se plaigne ou fasse la preuve que quoique ce soit de dégradant ou
de déshumanisant ait été imposé à qui que ce soit;
151.6
ce jugement se base sur l’affaire Mara que nous avons partiellement
analysée dans le cadre du jugement dans Blais Pelletier et que nous reverrons
sous l’onglet 7 du cahier de jurisprudence de la poursuite;
151.7
certains passages de ce jugement, décrivent certaines parties du
spectacle qui sont du genre plutôt burlesques et que l’on peut comparer avec le
spectacle que la cour d’Appel du Québec a déclaré tout à fait tolérable et ne
dépassant pas le seuil de tolérance de la société canadienne et contemporaine
dans l’affaire Roux. c. R., 500-10-001798-006 C. A. M. le 28 février 2001.
Ce dernier jugement s’ajoute aux jugements rendus postérieurement à celui rendu
le 4 mars 1996 dans ce dossier de R. v. Ludacka;
151.8
dans Ludacka les policiers n’ont pas toléré les activités des accusés
pendant 21 mois comme dans le présent cas, mais avaient plutôt agi avec
diligence et sans message ambivalent pour les citoyens, car les policiers ont vu le spectacle la veille et ils ont
donné un avertissement et sont revenus le lendemain pour porter des
accusations;
151.9
et finalement, la cour d’appel a maintenu le verdict de culpabilité
parce que la couronne avait fait la preuve de la culpabilité hors de tout
doute raisonnable (p. 194) ce qui est loin d’être le cas dans le présent
dossier.
152.
Les onglets 5, 6 et 7 contiennent les jugements des trois
instances rendus dans l’affaire Tremblay du Pussy Cat dont nous avons
déjà fait l’analyse des jugements de première instance et de la Cour Suprême,
qui a acquitté les accusés le 2 septembre 1993. Nous ne ferons
aucun autre commentaire sur les jugements déjà analysés dans la jurisprudence
de la défense.
153.
Quand au jugement de la cour d’Appel dans Tremblay (1991) R. J. Q.
2766 rendu en 1991 qui est contredit par les deux autres instances, et que
l’on retrouve à l’onglet 6 du cahier de jurisprudence de la poursuite
nous soumettons que :
153.1
ce jugement ne peut certainement pas servir pour juger du cas d’une
maison de débauche où se commettent des actes indécents comme le présent
dossier, car il a été renversé;
153.2
ce jugement de la cour d’Appel est par contre très utile pour confirmer
l’argument de la défense que ce que la société et les tribunaux jugent contraire
au seuil de tolérance, c’est précisément la prostitution comme le
décrit la cour d’Appel, or, dans le présent dossier le tribunal peut constater
et conclure qu’il n’y a pas de prostitution.
153.3
quand on lit l’annonce publicitaire du Pussy Cat on peut comprendre que
la cour d’Appel y ait trouvé des éléments laissant croire qu’il y avait de la prostitution,
tel qu’il appert à ce texte qui apparaît au complet uniquement dans le jugement
de la cour d’Appel et non pas dans les deux autres jugements. Le texte suivant
s’adressait au grand public, et pourtant la Cour Suprême du Canada a
conclut que le genre d’activités annoncées ne dépassait pas le seuil de
tolérance des années 88 (année de l’infractions) et 93 ( année du jugement) et
n’avait rien d’indécent. Le texte suivant est reproduit à la page 2773
de l’onglet 6 :
154.
Le présent tribunal est en mesure de constater que ce genre d’annonce
racoleuse diffère totalement du genre d’annonces que les accusés ont
publiées pour leur activités échangistes. L’immeuble où était situé le
Pussy Cat était peut-être discret avec
sa petite plaquette mais les annonces du Pussy Cat n’avait rien de discret
comme publicité.
155.
Cette publicité permet au tribunal de bien réaliser l’importance de la
différence de contexte entre ce cas où on invite les hommes à venir
fantasmer dans la promiscuité avec une danseuse dont le seul rôle est d’offrir
du plaisir à connotation sexuelle et qui est tout à fait aux antipodes de
l’atmosphère de respect que la culture échangiste préconise et véhicule,
notamment par leurs règles d’éthique mis en preuve dans le présent dossier.
156.
Cette publicité racoleuse invite au plaisir en offrant des femmes
comme objets de plaisir au service de l’homme alors, que la publicité du
club échangiste Brigitte et Michel invite plutôt les adeptes de l’échangisme à
se rencontrer pour partager ensemble un intérêt commun qu’ils ont pour le sexe
récréatif dans un rapport d’égalité entre les participants volontaires et
discrets.
157.
Puisque la Cour Suprême n’a pas jugé que cette publicité du Pussy Cat
invitait le public en général, à venir dans une maison de débauche pour y
commettre des actes indécents, le présent tribunal ne peut franchement pas
conclure que la publicité de Brigitte et Michel soir incitative à commettre des
actes indécents.
158.
Le présent tribunal est ainsi en meilleure position pour comprendre
pourquoi les clubs échangistes tiennent tant à ce que des normes soient
clairement établies pour que la société puisse facilement les distinguer de ces
autres genres d’endroits où les profiteurs pourront aller sans venir perturber
le contexte de respect qui prévaut dans un club échangiste tel qu’établi par la
preuve . Les policiers, les avocats de la ville, les autorités politiques, les
échangistes en particulier les tribunaux et la société en général ont vraiment
un intérêt commun d’établir des normes objectives pour combler ce “vide
juridique” qui a empêché les policiers d’agir pendant 21 mois.
159.
Si cette publicité qui reflète les activités à connotation ouvertement
sexuelle du Pussy Cat n’a pas été retenue par la Cour Suprême comme élément de
preuve permettant de conclure que cette publicité annonçait un contexte
dégradant et déshumanisant pour la femme, alors, le présent tribunal peut
difficilement conclure que Brigitte et Michel offrait un contexte dégradant et
déshumanisant.
160.
Donc, ce jugement de la cour d’Appel qui a été renversé par la Cour
Suprême n’a pas de pertinence pour trouver les présents accusés coupables de
tenir ou de se trouver dans une maison de débauche, mais il aide au moins à
faire ressortir le genre de contexte que les échangistes authentiques
veulent éviter.
161.
Le 26 juin 1997 la Cour Suprême du Canada (
R. c. Mara (1997) 2 R. C. S. 630) prononçait un verdict de culpabilité pour
une accusation d’avoir permis des spectacles indécents en mars et avril 1991, dans une taverne
publique qui détenait un permis de ventes de boissons alcoolisées et
offrait des “divertissements pour adultes”.
162.
Contrairement aux prétentions de la poursuite qui soumet au tribunal que
ce jugement devrait inciter la cour à déclarer les accusés coupables, le
présent tribunal peut d’avantage se servir de ce jugement pour accorder le
bénéfice du doute aux présents accusés. En effet les faits, le contexte, les
circonstances, l’ensemble de la preuve et le message véhiculé par les
comportements dans l’affaire Mara sont tellement différents du contexte et
des circonstances qui prévalaient chez Brigitte et Michel, que ce jugement
aide la cour à identifier clairement en quoi un club échangiste se distingue
des maisons de débauche où des femmes sont offertes en pâture aux profiteurs de
passage.
163.
Voici certains éléments qui permettent au tribunal de bien distinguer
entre une maison de débauche où se commettent des actes d’indécence ou de
prostitution comme dans Mara et qui démontrent que ce n’est pas le cas
au club échangiste Brigitte et Michel :
163.1
il s’agissait d’un endroit carrément publique soit une taverne
ayant pignon sur rue et contrairement au présent cas;
163.2
il s’agissait d’un endroit qui avait un permis d’alcool
contrairement au présent cas;
163.3 les contacts sexuels se
faisaient entre des danseuses nues et des clients contrairement à ce qui se
fait dans un club échangiste où ce sont des membres d’un club privé qui
s’associent entre eux d’égal à égal pour partager entre eux des jeux à
connotation sexuelle et c’est cette différence, qui fait que dans le cas de
Mara les activités étaient indécentes et non chez Brigitte et Michel;
163.4
“Les activités étaient indécentes
dans la mesure où elles comportaient des attouchements sexuels entre
les danseuses et les clients. Ce type d’activité –les caresses des
seins des danseuses par les clients avec les mains ou la bouche,
de même que les contacts d’organes génitaux entre danseuses et clients-
est préjudiciable à la société à maints égards : il dégrade et
déshumanise les femmes; il prédispose, en outre, les personnes à agir
d’une manière antisociale. Cette analyse suffit pour justifier la
conclusion que les spectacles en causes étaient indécents. (p.2) ( Ce qui permet au présent tribunal de
conclure que le contact physique qui est un plaisir tout à fait naturel devient
indécent dépendamment entre qui et dans quel but il est partagé. Le contexte
danseuses-clients dégage un message évident d’exploitation servile qui est tout
à fait différent du contexte entre membres échangistes qui dégage plutôt un
message de liberté d’association entre adultes consentants qui se respectent et
traitent d’égal à égal.)
163.5
“ La possibilité qu’un
préjudice soit causé aux exécutantes mêmes – le risque de préjudices
découlant de maladies transmises sexuellement et d’activités semblables
à la prostitution – bien qu’elle soit regrettable, n’est pas un facteur
essentiel aux fins de l’art. 167. Le risque que les exécutantes
subissent un préjudice n’est pertinent que s’il aggrave le
préjudice social résultant de l’avilissement des femmes et de leur
traitement comme des êtres objets. Enfin, le contact physique
entre clients et danseuses et la nature publique de l’activité en
question sont les principaux éléments qui distinguent la présente
affaire des arrêts Tremblay et Hawkins.” (p.2)
163.6
Et à la page 12, par. 46,
la Cour Suprême revient sur les risques
de maladies transmises sexuellement en précisant spécifiquement que,
tout en devant être pris en considération, il faut le faire dans la dimension
suivante : “ Quant à la prise en considération du risque de maladies
transmises sexuellement, étant donné que je n’accorde tout au plus que peu
d’importance à ce facteur, je m’abstiendrai d’examiner s’il était
approprié que la Cour d’appel tienne compte de ces risques pour déterminer s’il
y avait indécence, même si ce facteur n’avait pas été analysé par le juge du
procès. ”
163.7
Ce qui permet au présent tribunal de constater et conclure que :
163.7.1 le risque de maladies
transmises sexuellement n’est pas considéré de la même façon par les policiers
que par la Cour Suprême du Canada;
163.7.2 l’usage et la promotion du
condom dans le milieu échangiste comme chez Brigitte et Michel est une
illustration que, du moins dans le milieu échangiste, on a le sens des
responsabilités, qu’on prend des moyens raisonnables et reconnus comme le
condom pour éviter de causer un préjudice
163.7.3 et que la femme y est
traitée avec respect, de sorte que les activités authentiquement échangistes
ne semblent pas prédisposer à un comportement antisocial comme dans l’affaire
Mar, où les contacts se font entre une danseuse et un client qui paie pour
des faveurs sexuelles et qui peut contrôler unilatéralement le refus du condom.
163.8
dans Mara il y avait un risque encore plus grand, découlant du
fait que les contacts physiques étaient apparemment non protégés, et par
conséquent plus susceptibles de favoriser la transmission de maladies, alors
que dans le présent cas, il est établi qu’il y avait usage de condoms
et que les adeptes authentiques de la culture échangistes en font
généralement l’usage et la promotion.
163.9
les contacts physiques se faisaient entre des danseuses nues et des
clients en considération d’un paiement d’argent qui a comme résultat
d’empêcher un rapport d’égalité entre les participants et qui fait de la femme
un objet de plaisir au service l’homme, ce qui a été jugé dégradant et
déshumanisant pour la femme et prédisposerait à un comportement antisocial;
163.10ce qui permet au tribunal de
constater que ces comportements n’ont pas été mis en preuve dans le présent
cas, et qu’au contraire, les adeptes authentiques de la culture échangiste en
général, et chez Brigitte et Michel en particulier, la femme est traitée avec
respect, sans que personne ne se plaigne ou fasse la preuve que quoique ce soit
de dégradant ou de déshumanisant ait été imposé à qui que ce soit;
163.11 il s’agissait de déterminer
si les spectacles offerts au Cheaters étaient indécents alors que dans
le présent cas il ne s’agit d’actes pas de spectacles et cela fait une
grande différence pour établir le contexte et les circonstances dans lesquels
se déroulent les activités, car un spectacle se fait devant un public de
spectateurs qui ne sont pas là pour s’associer entre eux comme le font les échangistes.
Le but visé par les activités théâtrales de la Taverne Cheaters est
intrinsèquement et totalement différent du but visé par un club échangiste
comme Brigitte et Michel;
163.12 dans l’affaire Mara, page 5,
les appelants n’ont soulevé aucune question concernant la Charte, ce qui
fait une autre différence importante avec le présent dossier puisque dans
notre cas, sans attaquer la constitutionalité de la loi, les accusés
demandent qu’on applique et respecte la Charte pour protéger leur droit
fondamentale à la liberté d’association dans le cadre d’un lieu identifier
et utilisé à cette fin et réservé pour eux sans déranger personne. C’est
donc là un autre élément important qui distingue nettement le présent cas
d’espèce de l’affaire Mara;
163.13 une raison pour laquelle le
jugement dans Mara est fondamentalement différent du présent cas, c’est que
dans Mara, le comportement des accusés constitue de la véritable
prostitution alors que dans un club échangiste comme Brigitte et Michel, la
femme qui participe le fait gratuitement, de son plein gré et pour son propre
plaisir :
163.13.1 “ La cour a décidé que la conduite des danseuses était une
forme de prostitution. Bien que la prostitution ne soit pas illégale
au Canada, le législateur a clairement exprimé son intention de l’éradiquer en
criminalisant les activités liées à la prostitution.” (p.5) ( Ce qui
permet au présent Tribunal de préciser qu’en faisant cette éradication, il
ne faut pas porter atteinte aux droits fondamentaux des honnêtes citoyens qui
ont des activités sexuelles dans un contexte et des circonstances qui n’a rien
en commun avec la prostitution.
163.14 “En l’espèce, comme je l’ai
mentionné dans la partie sur les faits, les clients de Cheaters
pouvaient, en payant une somme d’argent, toucher et caresser des
femmes, recevoir des caresses sexuelles intimes et se livrer à la masturbation
mutuelle et apparemment au cunnilingus dans une taverne publique. En
fait, en plus de leurs consommations, les hommes pouvaient se payer
une aventure sexuelle publique pour leur propre plaisir et celui d’autrui.”
( Ce qui permet au présent tribunal de constater que le “profiteur” dont
il veut éviter la présence sous le faux prétexte d’être un échangiste,
correspond sensiblement à ce consommateur d’alcool et de sexe qui
considère ces deux éléments comme étant des produits de consommation banalisés.
Le présent tribunal a pu constater que la preuve faite dans le dossier démontre
d’une façon tout à fait raisonnable et probable, que le milieu échangiste ne
tolèrerait pas la présence de ce “profiteur” qui ne cadrerait pas dans la
culture de respect du milieu échangiste qui a son propre code d’éthique.);
163.15 dans le cadre de l’analyse du jugement de la Cour Suprême dans
Pelletier dans le cadre de la jurisprudence de la défense, il a été soumis au
présent tribunal que l’affaire Mara ne s’appliquait pas au présent cas quant au
contexte “privé” ou “publique” des lieux et qu’il fallait plutôt,
sur ce point spécifique, conclure que c’est le jugement dans l’affaire Tremblay
qu’il faut appliquer compte tenu que Brigitte et Michel offrait une
“intimité relative”. Le passage suivant de la page 11 de
l’exemplaire contenu à l’onglet 7 du cahier de jurisprudence de la
poursuite est pertinent pour conclure en ce sens :
163.15.1 “Les principaux éléments qui
distinguent la présente affaire de l’arrêt Tremblay sont le contact
physique entre clients et danseuses qui a lieu ici, mais
qui était défendu dans Tremblay, et la nature publique de
l’activité en l’espèce; cette activité s’est déroulée ouvertement dans une
taverne, alors que dans Tremblay, les actes avaient été accomplis en privé.”
(p. 11)
163.16 Ce qui permet au présent
tribunal de conclure que ces deux distinctions se retrouvent également dans le
présent dossier de Brigitte et Michel de la façon suivante :
163.16.1.1 chez Brigitte et Michel, tout
comme dans Tremblay, il n’y avait pas de “ contact physique entre
clients et danseuses ” comme il y en a eu dans l’affaire Mara;
163.16.1.2 chez Brigitte et Michel, tout
comme dans Tremblay, il n’y avait pas un contexte de “ nature publique ” comme dans
l’affaire Mara;
163.16.1.3 et par conséquent, le
présent dossier ressemble d’avantage à l’affaire Tremblay qu’à l’affaire Mara
sur les deux mêmes éléments que ceux que la Cour Suprême a
retenus pour distinguer Tremblay de Mara, car, tout comme dans Tremblay il y
avait un relative intimité qui n’existait pas dans l’affaire Mara et que
comme dans Tremblay il n’y a aucun contact entre danseuses et client,
comme c’était le cas dans Mara.
163.17 D’autre part, il y a dans le
présent dossier, un élément de fait qui n’existe ni dans Mara
ni dans Tremblay, ce qui a comme conséquence que ni le jugement dans Mara
et ni le jugement dans Tremblay ne viennent répondre entièrement à certaines
des questions auxquelles le présent tribunal doit répondre :
163.17.1.1 le fait que chez Brigitte et
Michel il y avait des contacts physiques mais entre les membres
seulement et pas entre danseuses et clients.
163.18 De plus, il y a dans le
présent dossier, des éléments de preuve qui n’existent ni dans
Mara ni dans Tremblay, ce qui a comme conséquence que, ni le jugement dans
Mara et ni le jugement dans Tremblay, ne viennent répondre entièrement à
certaines des questions auxquelles le présent tribunal doit répondre :
163.18.1.1 la mise en preuve d’un sondage,
sans précédent, non contredit, qui établit, d’une façon objective et
scientifique, qu’une majorité de la société canadienne et contemporaine n’est
pas dérangée par l’existence des clubs échangistes et
qu’une majorité de la société canadienne et contemporaine tolère
les clubs échangistes tel que définis dans le sondage;
163.18.1.2 la mise en preuve à la fois
de ce sondage en plus d’une expertise en sexologie et en psychologie et des
témoignages explicatifs, qui dans leur ensemble, sinon dans leur totalité, se
corroborent, se complètent et ne sont pas contredits par une preuve de la
part de la partie qui a pourtant le fardeau de faire la preuve hors de tout
doute raisonnable.
163.19 Ce qui permet au présent
tribunal de conclure que
163.19.1 l’affaire Mara est un
cas d’espèce qui se distingue significativement du présent cas d’espèce
qui est sous étude pour ne pas conclure dans le même sens étant donné que les
faits diffèrent même si certains points de droits sont les mêmes;
163.19.2 ces éléments de faits et de droit permettront au présent
tribunal de prendre la décision finale qu’il lui revient de prendre
personnellement, tout en mettant de côté son opinion personnelle, c’est-à-dire
de déterminer si la poursuite s’est déchargée de son fardeau de prouver la
culpabilité des accusés hors de tout doute raisonnable.
164.
Le 5 juin 1998 la Cour Municipale de Montréal ( R. c. Lafontaine 197-069-115 onglet
8 du cahier de jurisprudence de la poursuite ) déclarait les accusés
coupables de s’être trouvés dans une maison de débauche dans des circonstances
qui ne sont pas très détaillées mais qui semblent être survenus dans un lieu où
le public en général était invité dans un contexte et dans des
circonstances qui se comparent à l’affaire Mara.
165.
Le juge a rapidement rejeté la défense des accusés qui se défendaient
sans avocat en disant que “ La version donnée par monsieur Lafontaine n’était
pas très structurée” (p.3) et il qualifie la version de madame de “invraisemblable”
(p.3) et le tribunal en a fait une affaire de crédibilité car les accusés ne
soulevaient pas de questions de droit élaborées.
166.
Ce jugement n’apporte rien de significativement pertinent au présent cas
d’espèce..
167.
Le 3 décembre 1998 la Cour Supérieure de Montréal ( Lafontaine c. R. C. S. M.
500-36-001585-986 onglet 9 du cahier de jurisprudence de la poursuite)
confirme partiellement le jugement de l’onglet précédent et nous apprend que
les événements sont survenus le 16 mars 1997 dans un endroit public,
soit une discothèque, ce qui confirme qu’il s’agit bien d’un cas comparable
à l’affaire Mara et que la cour a tout simplement appliqué. Ce jugement
n’apporte donc rien de significativement pertinent au présent cas d’espèce.
168.
Le 14 octobre 1999 la Cour du Québec du district judiciaire de Québec ( R. c. Porte
200-01-034588-982 onglet 10 du cahier de jurisprudence de la poursuite)
déclarait les accusés coupable de s’être trouvés dans une maison de débauche
en décembre 1997, soit dans un endroit public, à savoir le cabaret
“Le Carol” qui vendait de l’alcool et où il y avait des contacts physiques
entre danseuses et clients.
169.
Ce jugement traite des danses contact à 10 $ que la Cour Suprême a
finalement jugé comme n’étant pas indécentes dans son jugement rendu d’une
façon très contemporaine le 13
décembre 1999 soit 2 mois après ce jugement dans l’affaire du
cabaret “Le Carol”.
170.
Le juge a choisi d’appliquer l’affaire Mara en fonction de la
prostitution qui avait été retenue dans le dossier Tremblay par la Cour d’Appel
en 1991, mais dont la décision a finalement été renversée par la Cour
Suprême en 93.
171.
Encore une fois, il s’agissait d’un lieu carrément publique et où
il se vendait de l’alcool, ce qui n’est pas le même contexte ni les
mêmes circonstances que le présent cas d’espèce.
172.
Par contre, ce qui est intéressant dans ce dossier, c’est qu’un sondage
a été produit, mais il ne concernait pas l’échangisme comme celui produit dans
le présent dossier et qui demeure sans précédent sur ce sujet, mais au sujet de
danseuses nues.
173.
À la page 11 les commentaires suivants au sujet du sondage
produit sur les danseuses nues, permettent au présent tribunal d’apprécier la
rigueur scientifique et la valeur probante du sondage produit comme pièce D-7
dans le présent dossier :
173.1
“Quant au résultat du sondage, d’opinion présenté dans la preuve de la
défense, il n’a que peu de valeur probante et doit être écarté parce que les
questions posées ne permettent pas de connaître l’opinion des citoyens sur le
préjudice social engendré par les actes en cause.”
173.2
“ D’ailleurs, monsieur Serge Lafrance a admis qu’il était probable
que le résultat du sondage eût été différent si l’on avait demandé aux
citoyens leur opinion sur le caractère dégradant de ces gestes posés envers
la femme. Pour connaître cette différence, il faudrait, bien entendu, procéder
à un autre sondage … ”
174.
Le sondage déposé en preuve dans le présent dossier vient en quelque
sorte combler ce besoin, mais dans un domaine à la fois semblable et différent:
174.1
le domaine est différent en ce que le contact physique entre une
danseuse nue et un client pour de l’argent génère une préoccupation
sociale quant aux “gestes posés envers la femme” comme dit ce jugement,
alors que la preuve dans le présent dossier démontre que, dans un club
échangiste comme chez Brigitte et Michel, la femme était respectée et elle ne se dégradait pas et ne se
déshumanisait pas en contrepartie d’une
somme d’argent comme ces danseuses soumises et exploitées dans Fontaine. Le
présent tribunal est en droit de se demander en vertu de quoi, dans la preuve
qui lui est soumise le fait d’avoir du plaisir sexuel consensuel partagé en
pleine liberté et en présence de son conjoint serait dégradant et déshumanisant
pour une femme qui décide de le faire librement et volontairement ?
174.2
le domaine est semblable tout simplement parce qu’il concerne des
activités à connotation sexuelle qui soulèvent la question de l’indécence, mais
sans plus de similarité.
175.
Il est clair que, ce que la cour a eu en preuve dans le dossier du
cabaret “Le Carol” constituent des activités dégradantes et déshumanisantes
pour la femme si on considère qu’il s’agissait de prostitution selon la
définition lapidaire mais significative qui apparaît en bas de la page 6 :
“ La prostitution est le fait d’offrir son corps pour des fins lascives,
à tout venant, contre rémunération ”.
176.
Cette jurisprudence vient en quelque sorte étoffer l’argument de la
défense à l’effet que si le sondage D-7 indique un taux de tolérance
ou de non-dérangement plus élevé face à l’échangisme comparativement à la
prostitution, c’est précisément parce que, dans la prostitution il y
a le fait que c’est “ à tout
venant” et “ contre rémunération ” alors que dans un club échangiste
c’est par libre choix, gratuitement et en partage avec le choix respecté du
conjoint. On ne parle pas du tout de la même chose que Mara.
177.
Le bien fondé de cet argument est illustré par l’extrait suivant de la
page 8, qui permet de conclure qu’il y avait de la l’indécence en
considération des actes de prostitution dégradants et déshumanisants au cabaret
“Le Carol”, mais qui n’existaient pas chez Brigitte et Michel :
177.1
“Dans ce dossier, les
danses-contact ont été qualifiées de spectacles indécents parce que les
clients pouvaient caresser les seins d’une danseuse, se livrer à la
masturbation mutuelle et apparemment au cunnilingus. Il y avait des contacts physiques et
exposition à la vue du public. ” ( Ce qui permet au présent tribunal de
constater toute la différence et l’importance découlant du fait que dans un
club échangiste les activités se font “à
l’abri du regard du public ne désirant pas y assister ou y participer ” )
178.
Donc cette jurisprudence dans R. c. Porte concerne un contexte et des
circonstances semblable à Mara, mais significativement différents d’un club
échangiste comme Brigitte et Michel.
179.
Le 27 janvier 1993 la Cour du Québec de Joliette ( R. c. Blais-Pelletier C. Q. J.
705-01-002174-920 onglet 11 du cahier de jurisprudence de la poursuite ) acquittait
trois danseuses accusées d’avoir tenu une maison de débauche le 28 avril 1992 dans un lieu publique
soit un bar qui vendait de l’alcool. Les danses ordinaires coûtaient 7$
mais pour 3$ de plus les clients pouvaient toucher les fesses
et les seins de la danseuse et lors de cette danse à 10$ la danseuse
pouvait embrasser le client.
180.
En plus du fait que ces danses avaient lieu dans une un endroit
carrément publique soit un bar vendant de l’alcool, ces danses se faisaient
dans des isoloirs pouvant accueillir 8 personnes car “ Dans cet isoloir,
il y a de la place pour quatre (4) clients et (4) danseuses.” (p.237 de
l’onglet 11) et “la clientèle
dans le bar peut voir à l’intérieur de l’isoloir” (p. 237 et 244
de l’onglet 11 ).
181.
Les gestes indécents qu’on reprochait aux danseuses sont ainsi
décrits à la page 239 de l’onglet 11 :
181.1
“ … À ce moment, on s’est dirigé vers l’isoloir au même endroit. Là,
rendu à l’intérieur, elle se dévêtit complètement nue, fait la même chose. Elle
se penche vers toi puis elle me prenait là, me passait les seins dans le
visage, me prenait par en arrière de la tête, m’a serré contre
elle puis là, après cela, ensuite de ça, elle passait les mains
sur mes cuisses puis même qu’à ce moment là, une fois elle a passé sa
main sur mes parties génitales. Là, elle a fait demi-tour, elle s’est assise
sur moi, elle se frotte le fessier sur mes parties. Elle
s’est relevée puis là, à un moment donné, elle est arrivée puis elle se
frottait les seins puis avec mes mains, elle s’est frotté la
vulve. Une fois la danse terminée, je lui ai remis un billet de dix
dollars (10$) … ”
182.
Le tribunal est en mesure de constater que la description de ce contexte
et les circonstances sont bien différents de ce qui se passe dans un club
échangiste comme Brigitte et Michel où il n’y a pas toute cette
servilité sexuelle démontrant qu’il ne s’agit pas d’un contrat social dans un
rapport d’égalité. Les gestes ainsi posés démontrent clairement l’importante
différence qu’il y a dans le fait que les contacts physiques se font
entre client qui paie et la serveuse qui sert d’objet sexuel et
pourtant le tribunal a conclu que ce n’était pas indécent.
183.
Si ces gestes n’ont pas été jugés indécents même s’ils sont posés entre 4
danseuses et 4 clients dans un isoloir de 8 personnes et qu’ils sont visibles
pour la clientèle du bar, le présent tribunal est en mesure de mieux
comprendre pourquoi le sondage démontre que la société canadienne et
contemporaine tolère que des relations sexuelles entre membres d’un club
échangiste se déroulent dans un endroit qui leur est réservé à l’abri du regard
du public qui ne veut pas y assister ou participer.
184.
Dans ce jugement de première instance dans Pelletier, le juge fait
remarquer que “ la poursuite n’a pas présenté de preuve à savoir
quel serait le degré, par divers témoins, le degré de la société canadienne, le
degré de tolérance vis-à-vis de tels agissements.” (p.253) et par
conséquent “la Cour croit donc que ces actes ne peuvent être qualifiées
d’indécents parce que je n’ai pas la preuve qu’ils ne sauraient être
tolérés par la communauté en générale. ( Ce qui permet au présent
tribunal de conclure que sur ce point les deux cas se ressemblent car, même si
certains policiers sont venus émettre leur opinion personnelle et subjective,
il n’en demeure pas moins que la poursuite n’a pas fait de preuve objective
du dépassement du seuil de tolérance ou de préjudice réel pour la société, et
ce, surtout pas hors de tout doute raisonnable.)
185.
Un autre point commun entre ces deux jugements c’est que, tout comme
dans les clubs échangistes où les activités se déroulent à l’abri du regard du
public qui ne veut pas y assister ni participer, tel qu’il appert à la page 254
de l’onglet 11 : “ Seuls les adultes qui se rendent dans ce lieu
pourront être témoins de ces agissements ” Ce qui permet au présent
tribunal de croire que la société canadienne et contemporaine de 1992
dans Blais-Pelletier et encore plus en 1999 dans le présent dossier, est
de plus en plus tolérante que ce que la poursuite semble le croire à première
vue.
186.
Par conséquent, compte tenu de certaines similarités dans le contexte et
les circonstances qui prévalent dans l’affaire Pelletier et dans le présent
cas, et surtout à cause de certains éléments importants qui diffèrent, comme le
fait qu’il y ait un montant d’argent de versé pour permettre au
client de toucher la danseuse, le présent tribunal se doit de conclure
qu’il faut au moins accorder le bénéfice du doute dans le présent cas.
187.
Le 12 octobre 1994 la Cour Supérieure ( R. c. Blais-Pelletier, C. S. J.
705-36-000012-938 onglet 12 du cahier de jurisprudence de la poursuite )
siégeant en appel du jugement rendu par la Cour du Québec le 27 janvier 1993,
a maintenu l’acquittement pour des accusations de maison de débauche
contre des danseuses qui ont eut des contacts physiques avec les
clients le 28 avril 1992.
188.
Le 13 décembre 1999 la Cour Suprême du Canada ( Blais-Pelletier (1999) 3, R. C. S. 863
onglet 13 du cahier de jurisprudence de la poursuite ) a maintenu
l’acquittement des danseuses ayant des contacts physiques avec les clients.
Nous référons le tribunal à l’analyse de ce jugement dans la section de la
jurisprudence produite et analysée par la défense.
189.
Le 22 juillet 1999 la Cour Municipal de Montréal ( R. c. Labaye C. M. M. 198-054-660
onglet 14 du cahier de jurisprudence de la poursuite) trouvait l’accusé
coupable d’avoir tenu une maison de débauche suite à une perquisition
faite le 2 mars 1998 dans un endroit principalement et accessoirement
publique et détenant deux permis d’alcool.
190.
Ce jugement de la Cour Municipal a été porté en appel devant la Cour d’Appel
(500-10-001682-994) et par conséquent le tribunal doit être prudent et ne
pas tenir compte d’un jugement qui fait actuellement l’objet d’un appel et
qui, comme dans le cas de Tremblay, peut être renversé par la Cour d’Appel
et modifié à nouveau par la Cour
Suprême et creuser d’avantage le “vide juridique” dont parle la police et les
avocats de la ville.
191.
Cette prudence est d’autant plus appropriée du fait qu’il existe des différences
très importantes dans les faits et dans la preuve entre le présent
dossier et l’affaire Labaye à savoir que :
191.1
dans Labaye, les activités avaient lieu dans un endroit détenant un permis
d’alcool et ayant le caractère publique d’un tel endroit;
191.2
dans Labaye, il n’y a pas eu de preuve de tolérance par la
production d’un sondage sur le seuil de tolérance de la société
canadienne et contemporaine face à l’échangisme;
191.3
dans Labaye, le tribunal semble en avoir fait une question de
crédibilité en ne retenant pas le témoignage que l’endroit était la
résidence privée de l’accusé puisque le local en question était loué selon un
bail commercial et non résidentiel et a qualifié “d’écran de fumée”
le fait que l’accusé prétendait qu’il n’y avait pas de lien entre le débit
d’alcool et le local qu’il décrit comme sa résidence;
191.4
dans Labaye, l’accusé ne plaidait pas comme dans le présent cas, que les
actes sexuelles se déroulaient dans un club privé, mais qu’au contraire, rien
de sexuel ne se déroulait dans les deux étages du club pour lequel il avait un
permis d’alcool, mais que les actes sexuels se déroulaient en dehors du
club, soit au troisième étage où l’accusé prétendait qu’il s’agissait d’une
résidence privée;
191.5
dans Labaye, le tribunal a complètement écarté le témoignage de
l’expert Campbell qui n’a pas témoigné de la même façon dans les deux
dossiers. Ce n’est pas parce que c’est la même personne que cela veut dire que
la preuve est identique même si elle ressemble sur certains principes.
192.
En analysant le caractère privé ou publique des lieux dans l’affaire
Labaye, le tribunal a définitivement conclu que les lieux étaient
publiques précisément parce qu’il s’agissait d’un commerce de vente d’alcool,
raisonnement qui ne s’applique pas à notre cas d’espèce :
192.1
“Après analyse des faits mis en preuve, le tribunal arrive à la
conclusion que le troisième niveau est en fait une
dépendance des deux premiers niveaux de l’Orage, un établissement licencié.”
(p.14)
192.2
“ Pour toutes ces raisons le Tribunal arrive à la conclusion que pendant
les heures d’ouverture, l’Orage, y compris le troisième niveau
est un endroit public.”
193.
En analysant le caractère privé ou publique des lieux dans l’affaire
Labaye, le tribunal a référé au passage du jugement rendu par la Cour Suprême
dans Tremblay (1993) 2. R. C. S. 932 en mentionnant au bas de la page 13,
l’extrait qui dit que le Pussy Cat était un endroit public selon la définition
du code criminel, mais ce tribunal a omis de citer et de considérer le
passage suivant qui apparaît au bas de la page 970 dans Tremblay:
193.1
“Ainsi, même si les actes étaient accomplis dans un endroit public
au sens du Code criminel, ils n’étaient pas accomplis à la vue du public
de manière flagrante, mais bien à l’intérieur d’une pièce fermée, dans un
relative intimité, et seuls des adultes consentants y participaient.”
194.
Ce qui permet au présent tribunal de distinguer l’affaire Labaye du
présent cas pour les raisons suivantes :
194.1
chez Brigitte et Michel les activités se déroulaient “ dans un
relative intimité ”;
194.2
chez Brigitte et Michel ce n’est pas “ une dépendance ”… ni “ un
établissement licencié ”;
194.3
dans l’affaire Labaye il n’y a pas, comme dans le présent cas,
une preuve scientifique et objective par sondage, établissant qu’une
majorité de la société canadienne et contemporaine tolère et n’est pas
dérangée par l’existence des clubs échangistes quand “ Ces
activités se font à l’abri du regard du public ne désirant pas y assister
ou y participer.”
194.4
dans l’affaire Labaye :
194.4.1 le tribunal a considéré le fait que les activités se déroulaient
en public comme dans l’affaire de Mara
194.4.2 mais il a omis de considérer que, contrairement à Mara, les
contacts physiques n’avaient pas lieu entre les danseuses et les clients.
194.4.3 Il est vrai qu’à la page 14
le tribunal a considéré que ça ne faisait pas de différence que ce soit des
membres ou non qui aient accès au local, mais cela a été pris en
considération seulement pour déterminer si l’endroit était public ou non.
194.4.4 alors que, c’est une
toute autre chose de prendre en considération que les contacts physiques
ne se faisaient pas entre les danseuses et les clients lorsque vient le
temps d’établir ce que cette différence peut faire quant au niveau de
tolérance dans la société canadienne et contemporaine,.
195.
Dans l’affaire Labaye page 32 de l’onglet 14, le tribunal a refusé de
considérer l’application de la Charte canadienne de droits et libertés pour le
motif qu’aucun avis n’avait été donné pour soulever la constitutionnalité de
l’article concernant les maisons de débauche. Dans le présent dossier, le tribunal
est en mesure de comprendre que, dans le présent cas, la référence à la Charte
n’a pas pour but d’attaquer la constitutionnalité de la loi mais de considérer
tout simplement que dans un cas d’espèce comme celui-ci, lorsque des
échangistes authentiques se rencontrent dans un club authentiquement
échangiste, tel que défini dans le sondage D-7, il faut prendre en
considération le droit fondamental à la liberté d’association entre gens qui
partagent un intérêt commun, conformément à la Charte. C’est un élément
important qui permet au présent tribunal de distinguer le présent cas d’espèce
de l’affaire Labaye.
196.
Le présent tribunal est donc placé dans une situation sans précédent et
doit juger d’un contexte et de circonstances qui constituent un cas d’espèce
unique, même si dans l’affaire Labaye il s’agissait d’un club échangiste mais
dans un contexte et des circonstances différentes.
197.
De plus, il ressort à la lecture du jugement rendu dans Labaye, que le
tribunal en a fait une affaire de crédibilité et que “ La distinction
faite par M. Labaye entre son club “public” et son appartement prétendument
“privé” n’est qu’un écran de fumée” (p. 15) .
198.
Ce qu’il y a de plus semblable entre l’affaire Labaye et le présent
dossier, c’est que contrairement à toute la jurisprudence de la Cour Suprême
qui est citée comme précédent à considérer, c’est la première une fois il
s’agissait d’un club échangiste.
199.
Dans l’affaire Labaye le tribunal a tout simplement appliqué l’affaire Mara
en partant du principe que, dans l’affaire Labaye il s’agissait d’un lieu publique
à cause du permis d'alcool et que le fait d’avoir des relations
sexuelles dans un endroit publique dépassait le seuil de tolérance de la
société canadienne et contemporaine.
200.
Fondamentalement, c’est ce principe que le club échangiste Brigitte et
Michel souhaite respecter en allant jusqu’à se priver d’un revenu important que
pourrait procurer un permis d’alcool. En se privant d’un commerce lucratif
comme celui de la vente d’alcool, le club échangiste Brigitte et Michel a démontré
sa bonne foi et son intention réel
d’offrir un contexte le plus privé possible, contrairement à ces établissement
licenciés qui ont fait l’objet de jugements défavorables justement par ce que
les tribunaux trouvent dégradant et déshumanisant que dans un débit de
boisson licencié, le profiteur de passage peut consommer du plaisir sexuel
aussi banalement qu’il peut consommer en même temps une boisson alcoolisée.
201.
Contrairement à toutes les autres jurisprudences des 10 dernières années
et plus particulièrement l’affaire Mara que le tribunal a appliquée dans
l’affaire Labaye, le présent cas d’espèce ne pose pas la question de savoir si, dans le
contexte et les circonstances d’un commerce publique dont le but
premier est de vendre de l’alcool, on peut en même temps consommer du
plaisir sexuel en ajoutant tout simplement quelques dollars de plus.
202.
Dans l’affaire Labaye, page 17, le tribunal justifie en partie la
distinction qu’il y a entre l’affaire Tremblay et l’affaire Labaye relativement
au caractère privé des lieux en disant que dans Tremblay, “À
l’entrée, une petite plaque mentionne simplement “Pussy Cat”. À
l’entrée du club échangiste Brigitte et Michel, il n’y a même pas de “
petite plaque” et par conséquent, comme dans l’affaire Tremblay, le présent
tribunal est en droit d’appliquer le même raisonnement et conclure que cela
constitue un élément de preuve qui donne un contexte et des circonstances
plutôt privés que publiques et par conséquent plus tolérables pour la société
canadienne et contemporaine.
203.
L’affaire Mara ayant été appliquée pour déclarer Labaye coupable, le
présent tribunal peut considérer que toutes les distinctions qui ont été faites
par la défense au sujet de l’affaire Mara sont valables pour que l’affaire
Labaye ne s’applique pas au présent dossier.
204.
Le fait que dans l’affaire Labaye, le tribunal ait écarté le témoignage
et l’expertise de l’expert Campbell entraîne une autre distinction considérable
pour justifier de ne pas appliquer l’affaire Labaye au présent cas d’espèce.
205.
En effet, la plupart des raisons et des considérations données par cet
autre tribunal aux pages 22 à 25 du jugement Labaye, ne se retrouvent pas de la
même façon dans le présent cas. Même si c’est le même témoin et qu’il traite
d’échangisme, il est impossible pour le présent tribunal de connaître toute la
preuve faite par l’expert Campbell dans l’affaire Labaye et notamment l’impact
du sondage sur son opinion, comparativement à l’affaire Labaye. Le présent
tribunal ne peut juger du cas du club échangiste Brigitte et Michel qu’en
considération des faits mis en preuve devant lui pour rendre un jugement dans
le présent cas d’espèce.
206.
À la page 29 dans le jugement de l’affaire Labaye, le tribunal a bien
posé la question à laquelle il fallait répondre : “ est-ce que la
société tolère les actes accomplis dans les circonstances où ils ont été
accomplis ? ” Le présent tribunal a l’avantage sur cet autre tribunal
d’avoir des éléments de preuve objectifs et scientifiques, comme le sondage
D-7, pour répondre à cette question.
207.
De plus puisque les “circonstances où ils ont été accomplis”
diffèrent d’un cas à l’autre, il est logique et tout à fait juridique que les
conclusions soient différentes sans pour autant être erronées ou en
contradiction. Le but ultime de la justice démocratique, c’est précisément
d’assurer chaque accusé qu’il sera jugé selon le faits spécifiques qui sont mis
en preuve devant le tribunal qui doit le juger en considération de cette
preuve.
208.
À la page 30 du jugement dans Labaye, le tribunal a conclut que dans la
preuve qu’elle a entendue, la femme était “exploitée” comme dans
l’affaire Mara. C’est là une distinction essentielle que le présent
tribunal doit faire car dans la preuve faite dans le présent dossier, il
n’y a pas de preuve qu’une femme était “exploitée”.
209.
Quant à la question de la mens rea dont parle le tribunal aux
pages 31 et 32 du jugement dans Labaye, elle doit aussi être traitée
différemment dans le présent dossier. En effet, les accusés Brigitte Chesnel et
Denis Chesnel sont venus expliquer avec candeur et spontanéité, quelle était
leur intention véritable lorsqu'ils ont décidé d’ouvrir un club échangiste sans
permis d’alcool et avec un concept de contexte “privé”. Il faut les faire
bénéficier du “vide juridique” qui a été mis en preuve uniquement dans le présent
dossier et non pas dans Labaye.
210.
Si la jurisprudence ou le législateur ne sont pas clairs sur la couleur
sur laquelle on peut traverser la rue, comment peut-on reprocher aux citoyens
de traverser sur la mauvaise couleur ? Il est peut-être clair pour tous qu’il
faut arrêter sur le feu rouge et passer sur le feu vert, mais qu’en est-il dans
les circonstances où le feu de la tolérance dans la société est d’une couleur
incertaine et changeante?
211.
Il suffit au présent tribunal de lire la jurisprudence au présent
dossier pour constater comment il existe de points de vus différents d’un juge
à l’autre, d’un tribunal à l’autre, d’une province à l’autre, ne serait-ce que
sur le fait que les contacts physiques entre danseuses et clients peuvent avoir
été qualifiés d’indécents ou de tolérables, dépendamment de la date où un
jugement est rendu par rapport à un autre.
212.
À cela il faut ajouter qu’il s’écoule tellement d’années entre certains
jugements dans un même dossier, que les tribunaux se trouvent tout à fait
décalés par rapport au rythme de l’évolution des mœurs dans la société.
213.
Comment le citoyen moyen peut-il comprendre en toute limpidité que des
jugements disent d’une part que la prostitution n’est pas illégale
mais que d’autre part des jugements font de longues analyses sur le
caractère dégradant et déshumanisant de la prostitution et qu’on cherche à
l’éradiquer comme dit un des jugements.
214.
Comment pourrait-on véhiculer le message que la prostitution n’est
pas illégale au Canada même si une femme se fait payer en contrepartie de
faveurs sexuelles, mais qu’il serait illégale pour une femme de partager
gratuitement du plaisir sexuel avec son conjoint présent, consentant et dans un
contexte et des circonstances les plus privés possibles, où tout est
fait pour ne pas déranger le publique, lequel, incidemment, tolère
que d’autres pratiquent l’échangiste dans des clubs échangiste authentiques et
visiblement identifiés pour en avertir les adultes usagers ?
215.
Le 12 octobre 1994 la Cour Supérieure (Atkinson c. R., C. S. J. 705-36-000013-936)
renversait un décision de la Cour du Québec rendue le 28 janvier 1993 et prononçait l’acquittement pour une
accusation de s’être trouvé dans une maison de débauche le 29 avril 1992.
Ce jugement n’est d’aucune utilité pour juger du présent cas, car il ne vise
qu’à rendre un jugement d’acquittement pour des gens accusés de s’être trouvés
dans une maison de débauche, alors que les gens accusés d’avoir tenu cette
maison de débauche avaient été acquittés par un autre juge qui ignorait
l’existence de deux jugements contradictoires pour les mêmes circonstances.
216.
L’analyse de la jurisprudence de la poursuite permet au présent tribunal
de constater qu’il est très urgent et très important de combler ce “vide
juridique” et de donner des paramètres qui vont guider et rassurer tous les
intervenants comme les policiers, les avocats de la poursuite, les tribunaux,
les avocats de la défense, les échangistes, les propriétaires d’établissements
licenciés, les badauds qui vivent tous dans une zone grise et qui n’ont pas un
texte de loi clair et précis pour trancher la question. D’ailleurs, le fait que
la défense soit obligée de faire un sondage d’opinion à travers le Canada le
démontre.
217.
Considérant la nature particulière des accusations en matière de maison
de débauche du fait que la loi dit que c’est un endroit où il y a des actes
indécents, mais que la loi ne définit pas en quoi consiste
l’indécence.
218.
Considérant que la jurisprudence a déterminé qu’un acte est indécent
lorsqu’il outrepasse le seuil de tolérance de la société canadienne et
contemporaine.
219.
Considérant que la jurisprudence a précisé que la tolérance est un concept
qui évolue parce que les idées changent avec le temps.
220.
Considérant que la poursuite a le fardeau de prouver hors de tout
doute raisonnable que les accusés sont coupables des actes
reprochés.
221.
Considérant que la poursuite n’a fait entendre aucun expert pour
faire la preuve du seuil de tolérance dans la société canadienne et
contemporaine, sauf des policiers qui ont toléré les actes reprochés pendant 21
mois avant de faire une intervention policière et que ces policiers n’ont
fait qu’émettre des opinions personnelles et subjectives quant aux
critères sur lesquelles ils se basent pour définir un acte indécent et porter
des accusations de maison de débauche.
222.
Considérant que les policiers se sont contentés de ces critères
personnels et subjectifs à l’étape de la mise en accusation, mais
qu’à l’étape du procès, le juge doit travailler avec des critères
objectifs et scientifiques.
223.
Considérant que la jurisprudence a déterminé que la preuve de cette
tolérance peut être faite par des témoins experts.
224.
Considérant que les accusés, qui sont présumés innocents, n’ont pas
le fardeau de prouver leur innocence et qu’ils n’ont qu’à soulever un doute
raisonnable pour être acquittés.
225.
Considérant que les accusés ont fait une preuve en produisant des
témoins ordinaires et des témoins experts en sexologie, en psychologie et en
sondage d’opinion publique en plus des rapports d’expertise soit un sondage
établissant le niveau de tolérance de la société canadienne et contemporaine
face aux clubs échangistes.
226.
Considérant que la poursuite elle-même a admis que pour les avocats de
la ville et pour la police, il existait un “vide juridique” concernant
les clubs échangistes comme Brigitte et Michel au point de justifier de
suspendre l’enquête policière.
227.
Considérant que la jurisprudence a établi que la tolérance de la
police est en élément pertinent à prendre en considération et que dans le
présent cas d’espèce, les policiers ont attendu 21 mois avant
d’intervenir;
228.
Considérant que le tribunal ne doit pas juger selon son opinion
personnelle mais en considération des faits mis en preuve dans le présent cas
d’espèce;
229.
Considérant que l’ensemble de
cette preuve faite par la défense établit d’une façon significativement non
contredite et prépondérante que :
229.1
il s’agit d’un cas d’espèce qui cumule un ensemble d’éléments de fait
et d’éléments de preuve que l’on ne retrouve pas tous réunis en même
temps dans un cas précédent;
229.2
parmi ces éléments de fait, il y a toutes les circonstances et
le contexte dans lesquels le club échangiste Brigitte et Michel a été mis
sur pied et dans lesquels il a fonctionné pendant quelques années;
229.3
le club échangiste Brigitte et Michel n’avait pas le caractère
carrément public comme c’est le cas pour un établissement licencié
ou l’activité de base est le commerce des boissons alcoolisées;
229.4
le club échangiste Brigitte et Michel il n’y avait personne de payé
ou qui payait en contrepartie de faveurs sexuelles à qui que ce soit, comme
dans la plupart des cas de jurisprudence analysés;
229.5
les accusés agissaient avec un respect qui a été admis par les
témoins de la poursuite et qui permet de croire et de conclure que des adeptes
authentiques de l’échangisme qui vivent dans ce respect les uns des autres, ne
représentent pas un risque qui disposerait les gens à se conduire d’une façon
antisociale.
229.6
aucune plainte n’a été formulée par les usagers de l’endroit;
229.7
il ne s’est produit rien de dégradant ou de déshumanisant ou quoique ce
soit qui portait atteinte à la dignité humaine
229.8
la majorité de la société canadienne et contemporaine n’est pas
dérangée par l’existence des clubs échangistes et même qu’elle les tolère
dans le contexte et les circonstances définis dans le sondage à
savoir :
229.8.1 “ Des
adultes, d’âge légal, avertis et consentants se retrouvent pour voir ou
participer à des activités sexuelles explicites en groupe dans un établissement
prévu à cette fin et qui leur est réservé. Ces activités se font à l’abri du regard
du public ne désirant pas y assister ou y participer.”
230.
Considérant que cette description correspond fondamentalement au
contexte et aux circonstances qui prévalaient au club échangiste Brigitte et
Michel;
231.
Considérant que la preuve démontre que la société canadienne et
contemporaine ne serait pas dérangée et tolèrerait les clubs échangistes
authentiques, ainsi définis dans la mesure où ils respectent et
appliquent en plus grand nombre possible, les éléments et les moyens suivants
à savoir que :
231.1
ils soient fréquentés que par des adultes d’âge légal, avertis et
consentants;
231.2
il s’agisse d’établissements prévus à cette fin;
231.3
ces établissements soient réservés à ceux qui adhèrent ou s'intéressent
réellement à la culture échangiste;
231.4
il y ait un accès contrôlé à l’entrée pour éviter qu’une personne puisse
y entrer par hasard en risquant d’être surprise et choquée;
231.5
ces activités sexuelles
explicites se font à l’abri du regard du public ne désirant pas y assister ou y
participer;
231.6
ces établissements soient clairement identifiés par une affiche
extérieure qui avertit les gens qu’il s’agit d’un club échangiste;
231.7
dans l’entrée intérieure des affiches avertissent clairement les gens
qu’ils sont susceptibles d’y voir des relations sexuelles explicites mais que
personne n’est obligé d’y participer;
231.8
des cartes de membres soient émises par ces clubs et que l’établissement
soit réservé aux membres qui auront signé des formulaires par lesquels ils
s’engagent à respecter les règles du club dont une copie leur est remise;
231.9
ils ne soient pas des endroits reliés au crime organisé;
231.10 ils ne soient pas des
endroits où il y a de la prostitution;
231.11 ils préconisent
l’utilisation de moyens de protection comme les condoms et de préférence d’en
offrir en vente ou gratuitement;
231.12 ils prennent des moyens
raisonnables pour assurer l’hygiène comme l’installation de douches et la
fourniture de draps propres;
231.13 ils détiennent un permis
d’opération commerciale comme tout autre établissement commercial dûment
enregistré auprès des autorités;
231.14 ils offrent des sessions
d’information ou des conférences sur la culture échangiste;
231.15 ils fassent partie d’une
association d’échangistes officiellement enregistrée comme l’Association des
Échangistes du Québec à laquelle a référé l’expert Michel Campbell à la page 8
de D-12;
231.16 la considération d'un
paiement, sous forme de cotisation ou de frais d'administration pour organiser
les activités échangistes, ne soit pas une façon déguisée de fournir des
services de prostitution;
231.17 les activités qui se
déroulent à l’intérieur se fassent à l’abri du regard du public ne désirant pas
y assister ou y participer;
231.18 les administrateurs et les
propriétaires de ces clubs échangistes agissent ouvertement et avec
transparence quant au fait qu'ils opèrent ces établissements pour permettre
l’épanouissement de la liberté d’association des authentiques adeptes de
l’échangisme, conformément à la Charte Canadienne des Droits et Libertés.
231.19 les activités se déroulent
dans un local qui assure un caractère relativement privé et qui n’a pas le caractère
public des établissements licenciés où l’activité première est le commerce de
boissons alcoolisées.
231.20 ils respectent et font
respecter un code d’éthique qui permettent l’application réelle des règles
ci-dessus mentionnées.
232.
Considérant que plus il y aura un respect du plus grand nombre de ces
critères, plus les clubs échangistes seront tolérés et moins ils dérangeront.
233.
Considérant qu’il serait injuste d’appliquer rétroactivement tous ces
critères aux accusés du présent dossier puisque qu’ils sont eux-mêmes victimes
du « vide juridique »
qui existait à l’époque et qui ne sera ainsi comblé que par le présent jugement
qui tient compte d’un sondage qui n’a été fait qu’après que les accusations
furent portées.
234.
Considérant qu’en quelque sorte, il s'agit de faire pour les échangistes
ce qui a été fait pour les nudistes qui opèrent maintenant des camps naturistes
dans un contexte et dans des circonstances qui n'outrepassent pas le seuil de
tolérance de la société canadienne et contemporaine
235.
Considérant qu’il faut respecter le droit fondamental des accusés à la
liberté d’association, de pensée et d’expression, conformément à la Charte
canadienne des droits et des libertés.
236.
Considérant que l’ensemble de la preuve laisse planer un doute
raisonnable quant à la culpabilité des accusés;
237.
Par conséquent le présent tribunal doit conclure pour :
237.1
déclarer les accusés non coupables et les acquitter;
237.2
ordonner à la poursuite de livrer immédiatement aux accusés ou à leurs
avocats, tout ce qui a été saisi lors des
descentes policières;
237.3
ordonner à la poursuite soit aux avocats et la police, de remettre
immédiatement aux avocats des accusés
toutes les photos, négatifs, disques compacts, vidéo, cassettes et toutes
autres formes de captation ou de reproduction, afin que les avocats puissent
s’assurer que ces éléments seront complètement détruits ou remis aux gens qui y
apparaissent pour que personne ne puisse garder l’image de quelqu’un d’autre
sans son consentement écrit.